Et aussi dans l’actualité des derniers mois : Sokura Nishiki, Katsuhiro Otomo, Schrauwen, Ruppert & Mulot

  • City Hunter Rebirth, tome 1, de Sokura Nishiki d’après Tsukasa Hôjô, traduction Jean-Benoît Silvestre (édition Ki-Oon, 180 pages, 7,90€)

City Hunter Rebirth, ou la version japonaise de la licence historique. Il faut remonter quelques décennies en arrière en effet (1983, quand même) pour renouer avec l’original : City Hunter de Tsukasa Hôjô, ou comment mixer aventures, humour et sensualité (en mode léger, la sensualité) pour mettre au point la recette de l’un des succès les plus durables du manga de cette époque. Rapidement décliné en multiples dessins animés et même au cinéma en prises de vues réelles (Niky Larson, avec Jackie Chan, 1993, prolongé plus récemment en 2018 par une version française, Nicky Larson et le parfum de Cupidon, dont tout m’incite à penser que j’ai fort bien fait de ne pas chercher à le voir), la série et ses personnages ont occupé la scène pendant des années, pour devenir un classique du genre. Largement de quoi nourrir un rebirth (à moins que ce ne soit un spin-off ? personnellement je n’ai jamais très bien saisi la nuance), donc, qui plus est officiellement validé par Hôjô en personne. L’argument scénaristique est classique de l’outillage SF (c’est le ressort, par exemple et pour ne citer que lui, de Quartier lointain). Propulsée sous un train par accident, une quarantenaire fan de la série, Kaori, est inexplicablement renvoyée en arrière dans le temps, dans le Shinjuku des années 80 et dans la peau d’une lycéenne. Paniquée, elle ne trouve qu’un seul expédient : écrire sur un panneau de la gare la formule XYZ, qui dans le monde de City Hunter fait apparaître l’irrésistible Ryo Saeba, héros de la série. Et vous savez quoi ? Ça marche.

Trois volumes ont paru chez Ki-Oon depuis la publication du tome 1 en français en février dernier – et le tome 4 est annoncé pour novembre. C’est enlevé, graphiquement bien fichu et assez futé dans la conduite de la narration – alors pourquoi on se priverait, hein ?

  • Akira édition originale, tome 5 et 6, de Katsuhiro Otomo, traduction Djamel Rabahi (Glénat, 416 et 434 pages, 14,95€ par volume)

Suite et fin de la monumentale nouvelle édition d’Akira entreprise il y a déjà plusieurs années chez Glénat – soit les tomes 5 et 6, respectivement avant-dernier et dernier volumes de la saga publiés en mai et juin derniers. Comme en toutes choses depuis qu’il a initialement fait paraître son chef d’œuvre, on ne peut pas dire que Katsuhiro Otomo se soit précipité pour boucler l’affaire. Mais enfin, face à une telle débauche de puissance et d’invention… C’est ce qui frappe le plus, sans doute, à la relecture de cette histoire imposante : elle vieillit très peu – ou alors très bien, selon l’angle d’où on regarde – et, surtout, il est saisissant de constater à quel point la grammaire et le vocabulaire visuels posés par Otomo lors de la conception d’Akira étaient incroyablement modernes. Supervisée par le sensei en personne, cette nouvelle édition est si emballante qu’on ne résiste pas à l’envie de s’y replonger illico – fût-ce pour la trois centième et quelque fois. Personnellement, je ne connais que Tintin qui me fasse à ce point cet effet. Ça n’est pas peu dire.

  • Portrait d’un buveur, de Schrauwen, Ruppert & Mulot (Dupuis, collection Aire Libre, 184 pages, 28,95€)

Sur le moment, je ne n’ai rien compris. Mais rien. Et puis, parce que je suis consciencieux et qu’on ne publie pas chez Aire Libre sans avoir quelques arguments, j’ai relu. Et j’ai pensé aux surréalistes. Soupault aurait aimé, sans doute, et Tzara, et Dali – sûrement pas Breton, ce fat, ce pédant, ce petit dictateur. Il ne faut pas prendre Schrauwen, Ruppert et Mulot au pied de la lettre, lorsqu’ils font semblant de raconter dans Portrait d’un buveur une histoire de pirates. Toute l’entreprise serait le récit divaguant de la vie imbibée et mollement aventureuse (il boit, il montre sa bite, il pisse, il vomit, il divague, ici et là il tue) d’un nommé Guy, crapule assez sordide dont on se plairait, au fond, à contempler l’abjection. Moi, je n’en ai rien cru. D’abord parce qu’ils ne racontent pas vraiment, pas sérieusement. Et que chez ces trois-là, exactement comme chez les surréalistes, ce qui compte – et ce qui reste –, ce sont les impulsions, les élans, les fulgurances – qu’elles aient recours aux mots ou aux images. Ils sont en roue libre, presque tout le temps, et pour peu qu’on se soit laissé embarquer, c’est ce qu’il faut apprendre à accepter. Je n’ai pas lu l’intégrale de l’œuvre de Ruppert et Mulot, encore moins celle de Schrauwen, mais j’ai un peu côtoyé les deux premiers, eux et leurs livres, et à chaque fois j’ai été frappé par la même chose : ce sont des orfèvres de la forme, des virtuoses du motif. Portrait d’un buveur est parcouru de toute une série de ces moments-là, séquences de pure beauté plastique, de transe graphique, d’instant poétiques. C’est le propos, c’est le projet, c’est la finalité. On prend ou pas, mais en tout cas il n’y a pas d’autres options (ou alors quelque chose m’a échappé, possible). Personnellement j’ai pris – et bien m’en a pris.

Nicolas Finet

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