Japon sensuel 2 : Kan Takahama

À la toute fin de l’ère Taisho (1926), il fait bon vivre à Hanazono, le quartier des plaisirs du secteur de Yotsuya tout près de Shinjuku, à Tokyo. À l’époque, c’est l’endroit le plus débauché de la ville. Et c’est précisément pourquoi on y retrouve, flanqué de son éditeur, le jeune et séduisant Yoshimune Miyake, alias Ishin. Originaire de Kyushu, ce jeune intellectuel est venu vivre dans la capitale pour alimenter en articles, récits, potins et ragots La Porte de la sexualité, une toute nouvelle revue érotisante et licencieuse inspirée par l’exemple du célèbre magazine Hentai shiryo (en v.f. Documentation perverse). Certaines de ces publications borderline connaissent alors un joli succès, dans un Japon libéralisé qui s’est totalement ouvert aux influences du monde extérieur. Désir, relations sexuelles, déviances, on peut y traiter de tous les sujets, pour peu qu’on ait l’imprimatur des autorités.

Et voilà comment Yoshimune, dans un cours de dessin de nu d’après modèle vivant, fait la connaissance de la troublante Aki, une jeune métisse à qui les relations « libérées » ne font pas peur. Une intimité amoureuse de plus en plus intense va s’épanouir entre les deux jeunes gens, où l’amour physique trouve très tôt sa place. Mais comment transformer cette relation sentimentale authentique en véritable union, alors que les conformismes et les pressions sociales de l’époque continuent à peser d’un grand poids sur les épaules d’Aki et Ishin, dont les origines, la fortune et les familles sont si dissemblables que tout avenir commun paraît hors de portée ?

Subtile chroniqueuse des relations et du sentiment amoureux dans le Japon moderne, avec en toile de fond la transformation accélérée du pays au cours des ères Meiji puis Taisho, et l’essor des idées socialistes et communistes durant l’entre-deux guerres, Kan Takahama, après Le Dernier envol du papillon il y a quelques mois chez le même éditeur, livre une nouvelle histoire d’amour sous la forme d’un émouvant portrait de couple. Les deux jeunes gens dont elle relate le parcours commun sont chacun à leur manière des marginaux épris de liberté, sans doute à rebours des conventions et des préjugés de leur temps, mais avec de tels accents d’authenticité et de sincérité qu’on ne s’arrête pas à leur caractère atypique. Ils sont aussi l’incarnation progressiste d’un Japon curieux de l’extérieur et de la nouveauté, fut-elle sulfureuse.

Kan Takahama s’est directement inspirée, pour ce récit touchant, de la véritable histoire de ses propres grands-parents. Une sélection de ses photos de famille est d’ailleurs reproduite en couverture du livre, sous la jaquette. Respect.

Tokyo, amour et libertés, de Kan Takahama, traduction Yohan Leclerc (éditions Glénat, collection Seinen, 164 pages, 10,75€)

Nicolas Finet

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