Struggle for life. Rien de plus fondamentalement humain que l’élan pour la survie. C’est le mantra du principal personnage de cette singulière histoire, qui vit en état de nature dans une sorte de préhistoire alternative où pullulent les bestioles rébarbatives, toutes plus empressées les unes que les autres à s’entredévorer. Le héros est un humain solitaire et sauvage, qui ne possède ici-bas que les hardes qu’il a sur le dos et une sorte de hotte remplie de fourrures d’animaux. D’emblée, on devine que chaque minute de son quotidien est une illustration du concept de chaîne alimentaire. Bouffer ou être bouffé, jour et nuit. C’est harassant.
Heureusement, le drôle de bonhomme a deux atouts. Le premier est un talent personnel : il sait capter le pouvoir des animaux qu’il tue en endossant leur fourrure. Entendre loin comme un lapin géant, courir aussi vite qu’un guépard en chasse, voir dans l’obscurité comme un cyclope carnivore, escalader les montagnes comme un bouquetin, etc., etc. C’est la raison d’être de la hotte, dont il extrait, au gré de ses besoins, les fourrures de telle ou telle bestiole vaincue naguère. Le second atout est un comparse : un chien bleu qui le suit comme son ombre, un peu couillon comme peuvent l’être les chiens parfois, mais tellement attachant.
Au gré de ses activités cynégétiques, l’improbable duo va se lancer à la recherche d’un monstre féroce tout en dents et fourrure rouge vif, croisement hasardeux mais tout à fait déplaisant entre dragon et bête du Gévaudan. Le monstre a détruit tout un village humain ; et qui sait si une fois le prédateur supprimé, sa fourrure ne pourrait pas fournir au chasseur solitaire un surcroit de puissance, jamais inutile dans un monde si aléatoire…
J’ai failli passer à côté du formidable Trap, paru en début d’année. Petit volume discret, sans prétention, mais tellement réussi. Deux choses au moins en font une bande dessinée épatante. Sa totale absence de dialogues, tout d’abord – exception faite d’un ou deux passages où des bulles dessinées viennent préciser l’intention d’un personnage. Ce genre de défi ressurgit périodiquement sous le pinceau de tel ou tel auteur, comme un exercice de style plus ou moins réussi, mais on sait aussi à quel point il peut être casse-gueule. N’est pas Moebius qui veut. Ici c’est un régal – peut-être parce que la forme muette est parfaitement à l’unisson de la vivacité de la narration, sans pause ni temps mort.
Et puis, pour achever de faire de Trap l’un des albums indispensables du premier semestre 2019, il y a l’humour. La vraie bonne trouvaille de l’histoire, en l’espèce, étant évidemment le personnage du chien bleu, cet imbécile de chien, mais comment peut-on être si… canin, qu’on a sitôt rencontré l’impression d’avoir toujours connu. C’est lui, à travers une palette d’expressions impayables (la trouille, la faim, l’amour éperdu, etc.), qui par ses attitudes et ses réactions fournit en quelque sorte les sous-titres du récit.
On pense bien sûr à Winschluss et à son Smart Monkey, en moins charbonneux, à Christophe Blain aussi, pour l’énergique évidence du trait. Des références plutôt flatteuses, auxquelles les deux auteurs ont su ajouter leur petite musique personnelle, un peu barrée, un peu étrange. Juste de quoi se dire qu’on brûle de lire la suite de leur production.
Trap, de Mathieu Burniat et Loup Michiels (Dargaud, 180 pages, 13€)