Mort d’un peintre

Toutes celles et ceux qui me connaissent un peu savent qu’outre mon vieux tropisme asiatique, j’ai également, d’aussi longue date, un profond tropisme nord-américain, dont le Canada est une composante presque… familiale. Aussi ne pouvais-je que me précipiter lorsque j’ai vu surgir, dans le paysage des parutions de rentrée, ce Tom Thomson – Esquisses d’un printemps dont le seul titre m’a aussitôt évoqué la somptueuse et farouche nature canadienne, qui joue un si grand rôle dans l’attrait qu’exerce ce pays que nous autres, « Français de France », aimons tant aimer – même si c’est parfois pour d’assez mauvaises raisons.

Je ne suis pas certain qu’on sache si spontanément, de ce côté-ci de la Grande Eau, poser une identité et des images sur le nom de Tom Thomson. Le Canada, c’est loin, alors ses peintres… Et pourtant cet homme et cet artiste-là est à l’identité et à l’immensité canadienne ce que, disons, Picasso est à l’art moderne dans nos contrées. Un géant. Que la brièveté de sa vie (1877 – 1917) comme de sa carrière (à peine plus d’une dizaine d’années, dont moins de la moitié à produire en continu) ont élevé au rang de monument national.

Pour me rafraichir la mémoire, je suis allé exhumer dans ma bibliothèque une modeste brochure toute simple glanée naguère aux alentours de 2003 à Toronto (Thomson est né en Ontario, où il a passé la majeure partie de son existence), probablement à l’occasion d’une exposition dont j’ai oublié le titre. The Group of Seven and Tom Thomson – An Introduction, signé Anne Newlands, présente l’avantage de rendre intelligible, en peu de mots, ce qu’a été l’aventure artistique collective du Group of Seven : sept peintres plus un – Tom Thomson, donc – que leur lyrisme et leur profonde empathie pour la nature (voir pour l’exemple ci-après deux reproductions de Thomson issues du livre d’Anne Newlands, même si les images ne rendent qu’imparfaitement compte de l’empâtement de la touche de Thomson, très particulière) ont fait entrer à la fois dans la modernité et sur la scène internationale.

Etrange destin que celui de Thomson, très certainement le plus doué de la bande, qui n’en a jamais fait formellement partie pour cause de disparition prématurée (l’appellation de « groupe des sept » est postérieure de plusieurs années à son décès), mais dont la postérité a largement retenu l’empreinte et l’influence sur ce petit collectif d’artistes qui étaient aussi ses amis. Son parcours est d’autant plus saisissant qu’il subsiste aujourd’hui un halo de mystère autour de la mort de Tom Thomson, qu’on a retrouvé mort noyé début juillet 1917 dans l’un des lacs de l’Algonquin Park.

La version officielle parle d’accident de canotage, mais il y a un vrai doute, sachant que Thomson, à la faveur de ses très nombreux séjours en pleine nature, était devenu un guide et un garde forestier expérimenté. Et s’il ne s’agissait pas d’un accident ? Et si le peintre, au cœur de son isolement, avait fait une mauvaise rencontre ? Et si, et si…

C’est le point de départ de l’album de Sandrine Revel, qui s’efforce de remonter progressivement dans le temps, en dévidant patiemment le fil des hypothèses et des conjectures, comme dans cette vieille chanson de Bob Dylan : Who killed Davey Moore? Why an’ what’s the reason for?

Sur ce ressort tout simple emprunté au récit à énigme, la dessinatrice élabore ainsi une sorte d’enquête-fiction comme elle le ferait d’une composition picturale, à petites touches l’une après l’autre accumulées. Ainsi apparaît peu à peu, via divers détours temporels et toute une galerie de personnages secondaires, ce qui devient au bout du compte un touchant portrait d’artiste, pudique et subtil. À cette aune, résoudre l’énigme de la vraie fin de Thomson n’est qu’un prétexte, bien sûr ; ce dont il sera surtout question tout au long des cent trente et quelque planches de ce bel album, c’est de l’éclosion d’une vocation artistique. Et de l’élan créateur vital dont Tom Thomson devient presque le jouet.

La façon dont il parvient à capturer l’essence des sauvages paysages de cette partie du Canada est saisissante. Le peintre procède par intuitions fulgurantes, et avec une vitalité chromatique exceptionnelle. Ses forêts, ses ciels et ses lacs paraissent irradier une puissance phénoménale, comme habités d’une intense vibration intérieure. Un peu plus d’un siècle plus tard, sa flamboyance est toujours intacte.

Tom Thomson – Esquisses d’un printemps, de Sandrine Revel (Dargaud, 144 pages, 21€

Nicolas Finet

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