Ted Benoit : “Un événement très excitant”

Lorsque le premier numéro d’(À Suivre) paraît, avec au sommaire la première de vos Histoires vraies scénarisées par Yves Chéraqui, vous n’êtes pas un inconnu dans la bande dessinée…

Ted Benoit : Effectivement, j’avais déjà commencé à publier à partir de 1975, notamment dans L’écho des savanes alors dirigé par Mandryka, auquel Jean-Pierre Dionnet m’avait recommandé. C’est d’ailleurs à la rédaction de L’écho que j’ai rencontré Jean-Paul Mougin, futur rédacteur en chef d’(À Suivre), lors de son passage de quelques mois au sein de ce magazine. Il m’avait annoncé son départ, lié au lancement d’une nouvelle revue chez Casterman, et m’avait demandé d’être de l’aventure. C’est de cette manière que les Histoires vraies réalisées avec Chéraqui, qui n’avaient pas été conçues spécialement pour (À Suivre), se sont retrouvées lancées dès le numéro un. La première histoire a été bouclée un peu en catastrophe, je me rappelle que je partais pour Londres et que c’est un copain qui a posé à ma place les dernières trames. Par la suite, ces Histoires vraies ont toujours connu une parution un peu aléatoire, tous les trente-six du mois…

Comment avez-vous vécu la naissance de ce magazine ?

Comme un événement très excitant. La plupart des jeunes auteurs de l’époque partageait d’ailleurs ce sentiment. Il faut se souvenir qu’à ce moment, dans l’univers de la bande dessinée, on n’était pas nécessairement obsédé par une parution en album. Travailler pour une revue pouvait tout à fait être une fin en soi. (À Suivre), de ce point de vue, jouait un rôle très fédérateur pour l’ensemble des auteurs qui y collaboraient, tout en donnant à ses lecteurs la sensation qu’il se passait en permanence quelque chose d’intéressant dans la bande dessinée, mois après mois. Personnellement, j’ai toujours perçu le magazine comme quelque chose de fondamental.

Le personnage de Ray Banana n’apparaît que dans un deuxième temps…

J’avais en fait commencé à le camper avant même l’apparition d’(À Suivre), mais je n’étais pas prêt, ce n’était pas vraiment au point. C’est spécifiquement pour (À Suivre) que je l’ai développé, en me lançant dans Berceuse électrique. Le magazine nous offrait à ce moment une réelle liberté, notamment avec une pagination libre qui permettait de tout imaginer. (À Suivre) était l’un des rares espaces à proposer ça, personne alors n’aurait envisagé de publier en album des récits de 120 pages et plus…

Quel a été l’accueil réservé par le public à Banana ?

Excellent ! Le personnage a immédiatement suscité une grande sympathie auprès du public et ça ne s’est jamais démenti par la suite. J’ai même un jour reçu une lettre d’une femme, apparemment très sérieuse, qui souhaitait confier à Ray Banana la mission de retrouver son fils disparu… Toujours est-il que Berceuse… a commercialement fonctionné beaucoup mieux que prévu, ce qui a suscité une demande pour une suite. Je me suis donc attelé à Cité lumière, qui en revanche s’est avéré un relatif échec en librairie. À mon sens, la maquette de l’album, qui le rattachait à l’univers de la bande dessinée enfantine et traditionnelle, n’y était pas étrangère. Du coup, l’éditeur n’a pas réellement exprimé d’attente pour un autre album, ce qui explique que je ne me sois pas davantage accroché au personnage de Ray Banana. Mon « retour » à la bande dessinée au sein d’(À Suivre) s’est fait sensiblement plus tard avec L’Homme de nulle part dessiné par Pierre Nedjar.

Du coup, au cours de toute l’histoire du magazine, vous ne signez finalement que trois histoires de longue haleine, et pourtant votre nom reste fortement attaché à celui d’(À Suivre) ?

C’est vrai. D’ailleurs moi-même, j’ai toujours considéré qu’il s’agissait de « mon » journal, y compris lorsque mes contributions s’y sont faites épisodiques. C’est l’une des clés de la jubilation qui imprègne Berceuse électrique : le fait qu’il y eût un journal pour publier ce genre de récit participait de la jubilation à le concevoir et le réaliser. J’avais aussi l’impression de contribuer à définir, par ce que j’y créais, l’image et l’orientation du journal.

Votre sentiment rétrospectif sur toute cette période ?

Sur le plan du vécu personnel, celui d’un journal cool, presque plan-plan. Sous leur toit de la rue Madame à Paris, Jean-Paul Mougin, Bernard Ciccolini et Anne Porot faisaient un peu comme une famille. Les déjeuners, c’était là où se faisait d’abord le journal. En même temps, le mode de fonctionnement interne d’(À Suivre) était probablement plus professionnel que celui des autres magazines de bande dessinée de l’époque, mais du coup, il y manquait peut-être un peu d’une âme, en profondeur. L’ossature rédactionnelle du magazine, qui même au sein d’une publication consacrée à la bande dessinée constitue la première « vitrine » du support, ne possédait sans doute pas une identité assez affirmée. (À Suivre) me donnait l’impression de toujours se chercher et de se trouver rarement. Au cours de la dernière période, les faiblesses du journal sont devenues flagrantes. Il ne faut peut-être pas regretter sa disparition. Sauf que la disparition d’un journal, c’est toujours triste…

Nicolas Finet

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