Bastien Vivès : à propos de Polina

La récente adaptation au cinéma de l’album Polina (Polina – Danser sa vie, de Valérie Müller et Angelin Preljocaj, sorti sur les écrans en novembre 2016) m’a donné l’idée de retrouver ce qu’en disait son auteur, Bastien Vivès, lorsque je l’avais interviewé à l’époque de la parution initiale du livre, en 2011. Voici ci-après l’entretien que nous avions eu, reproduit bien sûr avec son aimable autorisation.

Dans quelles circonstances avez-vous commencé à bâtir cette histoire ?

Bastien Vivès : Deux choses, depuis longtemps, me tenaient particulièrement à cœur : parler de l’art, essayer d’explorer et raconter le processus de création, et d’autre part traiter de ce qu’est la relation maître-élève, de la transmission du savoir. Bien sûr, j’aurais pu pour cela me focaliser sur la discipline qui m’est la plus familière, la bande dessinée, mais mettre en scène des gens qui dessinent, je trouvais ça d’un intérêt très limité. C’est pour cette raison que j’ai choisi de situer mon histoire dans l’univers de la danse. Depuis toujours, j’apprécie énormément le corps des danseuses et des danseurs, et d’un point de vue graphique, c’est ce qui me laissait le plus de champ.

Mais vous connaissiez l’univers de la danse ?

Non, absolument pas. Tout ce que je connaissais du monde de la danse, c’était un documentaire de France 3 sur les petits rats de l’Opéra, ainsi qu’un film, Ballerina, sur les danseuses russes et leur apprentissage. Mais le vocabulaire de cette discipline, d’après ce que je pouvais en comprendre, me plaisait beaucoup.

Pourquoi ce désir de se pencher sur le processus de création ?

Je le ressentais comme un besoin. Dans mes autres livres auparavant, j’avais exploré le registre émotionnel, sous de multiples formes. Cette fois, j’avais davantage envie de réflexion. Pour la première fois dans mon travail, il me semblait nécessaire de prendre un peu de recul et d’affirmer des choses. Donner un point de vue, mon point de vue. Et puis, je voulais aussi un livre plus posé, qui prenne le temps d’installer vraiment des personnages, de leur donner une épaisseur.

Vous avez le sentiment que vos personnages précédents ne bénéficiaient pas de l’épaisseur dont vous parlez ?

Si, mais les personnages de mes autres livres, je m’en servais surtout comme moteur pour exprimer des émotions. Le personnage de Polina est différent, c’est un personnage plus profond, avec une densité. Elle est là, elle existe par elle-même.

Vous avez en effet pris le temps de creuser le personnage et l’histoire de Polina, avec une pagination importante. Etait-ce prévu d’emblée ?

Oui, deux cent pages, ce qui représente un an et demi de travail. Je n’avais pas exactement prévu la pagination dès l’origine, mais je savais avec certitude que cela excèderait la longueur d’un album ordinaire. Le format final s’est imposé en cours de route.

Une route accidentée, ou un long fleuve tranquille ?

Je ne peux pas dire que j’aie vraiment rencontré de difficultés sur le plan graphique, en revanche, c’est probablement celui de mes albums qui m’a demandé le plus d’efforts en termes de narration. En fait, je réalisais Polina en alternance avec ma trilogie Pour l’Empire (co-signée avec Merwan chez Dargaud, ndlr), et il m’est souvent arrivé, en reprenant Polina après une certaine période, de ne plus être tout à fait satisfait de ce que j’avais déjà produit. Alors je reprenais des dialogues, je modifiais des images, j’en créais de nouvelles… Les soixante-dix premières planches de l’histoire ont subi ce traitement. C’était une nécessité : si je n’avais pas procédé ainsi, je me serais peu à peu, sans m’en rendre vraiment compte, éloigné du cœur de mon propos – la relation maître élève – pour revenir aux petites histoires émotionnelles de mes précédents albums.

Vous évoquez la relation professeur – élève, qui est en effet le motif central de cette histoire. Pourquoi cette relation vous intéresse-t-elle particulièrement ?

Parce que c’est une relation riche, complexe, subtile. Ce qui s’instaure entre un enseignant et son élève n’est jamais manichéen. Dans l’histoire de Polina par exemple, on ne sait pas au juste ce qui fait intrinsèquement l’intérêt de l’enseignement de Bojinski, son professeur de danse – on ne sait même pas vraiment si cet enseignement est valable ou pas. Mais au fond peu importe : ce qui compte, c’est que c’est important pour elle. Cet homme est important à ses yeux. Je suis fasciné par ce type de relation, parce qu’il y a de part et d’autre un profond respect, une intensité, même s’il peut aussi y entrer une part de domination et de soumission. Et puis, je trouve que cela peut aussi être une manière pour certains d’entre nous de laisser une trace sur cette terre : le moyen le plus évident de se survivre est de faire des enfants, mais on peut aussi y parvenir en transmettant un savoir à de plus jeunes que soi.

Il y a un mystère, non, chez Bojinski, le maître de Polina ?

Oui, sans doute. Son mystère, c’est qu’il porte le feu en lui, et qu’il parvient à le transmettre. Et il a choisi Polina pour porter ce qu’il considère être sa mission. C’est un type qui mourra à la tâche. À mes yeux, il est un artiste, au même titre qu’elle.

Ce maître que vous mettez en scène s’inspire-t-il d’un personnage réel ?

Au physique, certainement de mon père. Qui est d’ailleurs sans doute, à tous points de vue, l’un de mes professeurs les plus importants.

Y a-t-il eu dans votre vie personnelle des professeurs similaires à celui que vous montrez dans Polina ?

À l’identique, non. Mais j’ai eu en effet certains professeurs qui ont compté. Notamment un prof en arts plastiques, avec une très forte personnalité, dont la relation avec les étudiants se déroulait souvent sur le mode de la confrontation. Sur le moment, je ne suis pas toujours parvenu à saisir clairement ce qu’il cherchait à nous expliquer. Ce n’est qu’après-coup que j’ai vraiment compris son enseignement.

Et en matière artistique, vous reconnaissez-vous des maîtres qui vous auraient inspiré ?

L’inspiration n’est pas directe, mais je peux citer Miyazaki, pour lequel j’éprouve admiration et respect. Et, dans la bande dessinée, Richard Corben, certainement l’un des auteurs dont je me sens graphiquement le plus proche.

Polina est traité en bichromie, quelle en est la raison ?

Cela me permet d’appuyer les contrastes et c’est le choix de la simplicité. Et puis, il me semblait que la couleur n’était pas une nécessité qui s’imposait. Je voulais du blanc lorsque les artistes dansent, et du noir pur pour les séquences où ils sont en représentation. Et le gris, c’est pour les teintes du quotidien, de la vraie vie.

Avez-vous le sentiment, avec cet album, de franchir un cap particulier dans votre parcours d’auteur ?

Oui, en ce sens que le personnage de Polina, à mes yeux, existe vraiment. C’était une chose qui me tenait beaucoup à cœur : réussir un personnage, avec une véritable épaisseur. C’est exactement ce que j’aime chez Miyazaki : ses personnages ont une vraie dimension, on y croit !

• Je profite de la redécouverte de cet entretien pour reproduire ci-dessus une planche extraite de Polina, qui à mes yeux incarne à merveille à la fois le talent narratif de Bastien Vivès et la force d’évocation de la bande dessinée. Une page sur la danse sans danse, ou comment laisser courir son imagination.

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Nicolas Finet

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