Van Dongen d’hier et d’aujourd’hui

Lorsque je dirigeais, il y a quelques années (2012), le collectif Les 1001 BD qu’il faut avoir lues dans sa vie, adaptation française chez Flammarion des 1001 Comics You Must Read Before You Die paru l’année précédente, dont j’avais aussi été l’un des principaux contributeurs français, l’un des aspects les plus intéressants de la mission consistait à réinjecter dans le corpus du livre, conçu en Grande-Bretagne par l’excellent Paul Gravett et par conséquent très naturellement tourné vers le monde des comics anglo-saxons, un certain nombre d’ouvrages qui faisaient sens dans un contexte franco-belge, mais qui étaient totalement absents de l’édition britannique d’origine.

Parmi les titres que j’avais absolument tenu à ainsi réintroduire dans la VF du livre figurait une création néerlandophone que j’avais beaucoup aimée lors de sa première publication en langue française en 2003 chez Vertige Graphic : Rampokan de Peter Van Dongen (l’édition originale aux Pays-Bas date en fait de 1998), très juste et très pertinente chronique des affres de la décolonisation dans les anciennes possessions néerlandaises d’Indonésie. D’abord parce que tout, dans mon tropisme asiatique, m’y poussait furieusement. Et parce que la pratique assez personnelle de la ligne claire chez Van Dongen (lui-même à moitié Indonésien) dénotait d’emblée une personnalité singulière.

Je suis heureux de constater, quelques années plus tard, que je n’avais pas misé sur un second couteau, puisque le même Peter Van Dongen, en équipe avec Yves Sente au scénario et Teun Berserik au dessin, se voit aujourd’hui conforté dans son travail en signant rien moins que le nouvel épisode (très asiatique, lui aussi, l’action du livre se déroulant en partie à Hong Kong) de la série blockbuster Blake et Mortimer : La Vallée des Immortels – titre dont les spécialistes ne manqueront pas de relever qu’il sonne comme un vieux Bob Morane.

Je ne m’attarderai pas davantage sur cette nouveauté, n’ayant jamais eu (mais alors vraiment jamais) le plus petit commencement d’appétence pour la création de Jacobs – ce qui ne m’empêche pas de la respecter, bien sûr. Mais en revanche on peut revenir sur Rampokan, initialement paru en deux volumes lors de sa première publication française, puisque Dupuis, probablement à la faveur de l’actualité jacobsienne de Van Dongen, a la bonne idée d’en proposer une nouvelle édition, sous la forme d’une intégrale. Alors Rampokan ? Eh bien pourquoi ne pas vous livrer, tel quel, ce que j’en écrivais en 2012, justement, dans mon article des 1001 BD qu’il faut avoir lues dans sa vie ? Soit ceci : « Si les lecteurs francophones sont aujourd’hui au fait de ce que fut la longue présence française en Algérie et de la guerre qu’on y mena au nom de la légitimité coloniale, ils le sont en général beaucoup moins, voire pas du tout, s’agissant des aventures impérialistes conduites ailleurs sur la planète par leurs proches voisins européens. Ainsi en est-il de la longue histoire de la colonisation de l’Indonésie par les Hollandais, elle aussi soldée, juste après la Seconde Guerre mondiale, par une sanglante guerre d’indépendance.

Dépossédés de leur colonie par l’occupation japonaise en 1942, les Pays-Bas entreprirent, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de récupérer leurs anciennes possessions. Mais les nationalistes locaux ne l’entendaient évidemment pas ainsi. Ce n’est qu’en 1949 que l’Indépendance, formellement prononcée quatre ans auparavant, sera définitivement consacrée par un transfert de souveraineté entre les Pays-Bas et le nouvel État indonésien. Et c’est cette sale guerre que Peter Van Dongen évoque par la fiction dans Rampokan, à travers l’histoire ambitieuse d’une poignée de jeunes soldats aveuglés par la propagande de leur temps, et venus reconquérir leur colonie perdue.

Né d’un père hollandais et d’une mère indonésienne elle-même témoin direct du conflit, et donc très motivé par cet épisode de l’histoire contemporaine, Peter Van Dongen en rend compte avec une finesse, une clarté et une justesse remarquables. Traité dans une élégante bichromie sépia, son travail est aussi un vibrant hommage aux maîtres de la ligne claire. »

Ajoutons que Rampokan n’a jamais connu, dans le monde francophone, le succès public qu’il aurait amplement mérité, alors que l’ouvrage est devenu un classique respecté dans le monde néerlandophone. La nouvelle édition en intégrale qui paraît ces jours-ci, enrichie par rapport à la version Vertige Graphic d’une mise en couleurs co-signée par Van Dongen et Marloes Dekkers, pourrait donc, souhaitons-le, corriger enfin cette anomalie.

Rampokan, de Peter Van Dongen (Éditions Dupuis, collection Aire Libre, 176 pages, 26€)

Nicolas Finet

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