Jirô Taniguchi m’avait accordé un entretien à l’époque de la parution en France de son album Un Zoo en hiver. Voici comment il évoquait ce récit d’apprentissage, transposition limpide de son propre itinéraire de vie.
L’inspiration d’Un zoo en hiver semble être clairement autobiographique. Acceptez-vous ce qualificatif ou s’agit-il tout de même, à vos yeux, d’une pure fiction ?
Il y a effectivement des éléments autobiographiques dans cette histoire, qui se situe à l’époque à laquelle j’étais assistant et j’y ai parsemé des éléments tirés de ma propre expérience. Certains des personnages sont aussi inspirés de personnes réelles. Mais l’histoire elle-même est une fiction que j’ai entièrement imaginée.
Pourquoi avez-vous eu envie de raconter l’histoire de ce jeune homme monté à Tôkyô pour y devenir auteur de bande dessinée ?
J’ai d’abord eu envie de décrire le mûrissement d’un jeune garçon à travers toutes sortes d’expériences. Personnellement, je sais l’importance que peuvent avoir certaines rencontres dans une vie : si je suis devenu auteur de manga et exerce ainsi un métier que j’aime, c’est en grande partie grâce à la rencontre de certaines personnes.
L’époque que vous décrivez est celle de la seconde moitié des années 60. Quelle était la place de la bande dessinée dans la société japonaise de cette époque ? Et comment était ressenti, au sein de cette société, le fait qu’un jeune homme exprime l’ambition de faire de la bande dessinée son métier ?
À cette époque le manga commençait juste à être reconnu. Jusque-là il était considéré par les éducateurs comme quelque chose qui gêne les études des jeunes… C’est pourquoi, lorsque j’ai dit à mes parents que je voulais devenir auteur de manga, ils s’y sont fortement opposés. Ils ont pensé aussi que j’en étais incapable. À ce moment-là je ne savais d’ailleurs pas moi-même, et mes parents encore moins, comment on pouvait entrer dans cette voie. J’ai eu la chance qu’un ami m’offre l’opportunité de devenir assistant. Je décris cela aussi dans Un zoo en hiver. Je me souviens encore combien je me suis senti libre quand j’ai commencé ma nouvelle vie d’assistant. Et je me suis vraiment senti heureux de pouvoir travailler dans un environnement que j’aimais profondément.
Vous décrivez l’itinéraire d’un très jeune homme qui fait simultanément l’apprentissage de sa future profession et de la vie adulte. Quel est votre regard sur ce moment de l’existence humaine ? Est-ce un regard nostalgique ?
Effectivement c’est avec une certaine nostalgie que je me rappelle cette époque de ma jeunesse. C’est une période où l’on n’a peur de rien. Toutes les expériences sont nouvelles, on apprend sans cesse. Les rencontres, les relations humaines, les amours, apportent des joies et des déceptions qui vous font mûrir et je pense que c’est un moment particulièrement important dans nos vies.
Un zoo en hiver, comme beaucoup de vos albums précédents, est très attendu par vos lecteurs francophones. Avez-vous conscience de l’impact de votre œuvre sur ce lectorat ? Quel sentiment cela provoque-t-il chez vous ?
Lorsque je travaille, je m’efforce de ne pas penser au succès que je peux rencontrer avec mes livres. Je craindrais, en y pensant trop, de ressentir une certaine pression et de ne pouvoir finalement pas faire les choses que je veux comme je veux. J’essaye autant que possible de tout simplement dessiner les univers que j’imagine. Il me semble important que les histoires soient clairement écrites pour être compréhensibles aussi bien des lecteurs japonais qu’étrangers. Quant aux interprétations et façons de lire et sentir les choses, je pense qu’elles sont multiples et que c’est bien ainsi.
Le tournage de Quartier lointain au cinéma, inspiré de votre livre, est sur le point de commencer. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je suis vraiment ravi que ce projet de film soit sur le point de prendre forme. Il y a longtemps qu’il en était question et il m’est arrivé de penser que ça ne se ferait pas. Maintenant que c’est en cours, je suis très heureux. Je me fais un plaisir de découvrir comment mon manga sera transformé en film. Je pense que c’est une grande chance que Sam Garbarski, qui est un grand metteur en scène, fasse cette adaptation. Quand j’ai vu son film Irina Palm, j’ai été convaincu que son adaptation de Quartier lointain serait de qualité. J’ai vraiment hâte de voir le film terminé !
Interview réalisée à Tokyo le 7 avril 2009 et traduite par Corinne Quentin