Sur un air de Tango

Tango, ou la bande dessinée populaire à détentes multiples.

Ça commence fort, avec une couverture impeccable. L’équivalent imprimé d’une affiche de cinéma accrocheuse : ramassée et compacte, mais aussi ouverte et grand large. Une promesse d’action, mais sans ostentation, presque sans avoir l’air d’y toucher, tout dans la suggestion. Futé, surefficace.

Après, au fil des premières pages, une petite baisse de régime, quand même. D’abord parce que, comme c’est presque toujours le cas dans ce genre de série (celle-ci est seulement naissante, mais on devine le projet de longue haleine, pourvu que le lectorat suive), le niveau de sophistication graphique des pages intérieures ne peut malgré tout être qu’un bon cran en deçà de la couverture, travaillée à mort. Certes la narration fonctionne bien, coulante, rôdée, on sent le métier, genre action movie ; mais on se dit aussi que les facilités n’ont pas toutes été évitées : les yeux décidément un peu trop bleus et le menton un peu trop carré pour le héros, et puis, franchement, qui a jamais entendu dire qu’il puisse exister des beautés aussi sculpturales qu’Agustina, la fiancée du personnage principal, dans un trou perdu comme celui où il a trouvé refuge ?

Et pourtant, pour peu qu’on se laisse un peu retenir par les aspérités du récit, l’intrigue de Tango finit par accrocher. Rien n’est tout à fait exactement là où on l’attend et presque tout le monde ment ou a quelque chose à cacher, dans ce récit à tiroirs. Et chacun finit par sortir les flingues, parce qu’en définitive, c’est ainsi qu’on finit par s’expliquer dans ce genre d’histoires, non ?

Matz, qui a déjà quelques bonnes histoires d’action à son répertoire (par exemple et entre autres la trilogie Du plomb dans la tête avec Colin Wilson, ou plus récemment les transpositions en bande dessinée de certains des scénarios du cinéaste Walter Hill) revisite avec Tango son petit tropisme latino-américain, déjà repéré dans sa série Le Tueur, sans oublier quelques-uns des réflexes narratifs appris à l’école du cinéma. Pas d’échappatoire dans ces sociétés hyper-violentes d’Amérique du sud, gangrenées par les trafics qui transforment certaines d’entre elles en narco-États.

Et des décors à tomber pour accueillir les scènes de poursuites et de duel, exactement à l’image des grands westerns de l’âge classique : mourir, oui, mais avec élégance et sur fond de splendeurs naturelles, parce que c’est quand même plus graphique. Il faut dire aussi que pour cela, Tango a misé sur le bon dessinateur : Philippe Xavier (Conquistador, Hyver 1709 entre autres), impeccablement profilé pour le récit d’action crédible.

Bref et pour résumer, on voit bien le calcul éditorial. La couve qui tue + le dessin réaliste qui fait le boulot + le western moderne sur fond de problématiques d’aujourd’hui = essayer de décrocher la timbale de la série populaire d’action à grand tirage (qui a dit Largo Winch ?). Même les personnages s’y mettent, avec en fin de premier tome l’esquisse d’un duo de héros en cours de constitution (le protagoniste principal se voyant rejoint, contre toute attente, par un personnage de flic à la retraite assez réussi), plutôt prometteur pour les suites à venir.

On peut s’y laisser prendre. On n’est ni chez Robbe-Grillet ni au banquet des philosophes, ça c’est sûr ; mais la promesse, c’est quand même l’aventure, non ? Personnellement, je prends.

Tango T.1 – Un océan de pierres, de Philippe Xavier et Matz (Le Lombard, 72 pages, 14,45€)

Nicolas Finet

Laisser un commentaire