Une petite légende de l’univers des comics ressurgit à l’initiative des éditions Glénat, et c’est une heureuse initiative. Big Guy and Rusty The Boy Robot a en effet connu une première vie il y a une vingtaine d’années. Publié en 1995 aux Etats-Unis chez Dark Horse, le titre a été traduit en français l’année suivante chez Delcourt, sans que l’album fasse particulièrement date. Le relancer aujourd’hui, sur fond d’engouement planétaire pour la culture des comics, pourrait contribuer à lui redonner une visibilité méritée.
L’argument de l’histoire tient en peu de mots. Échappé des laboratoires de pointe de l’industrie japonaise, qui réveillent bien malgré eux une puissance enfouie qui n’aspirait qu’à renaître, un monstre titanesque aux allures de lézard géant déferle sur Tôkyô. Un désastre pour la ville, mais surtout une menace mortelle pour le genre humain. Dans le sillage de la bestiole en effet, une ignoble infection génétique se répand, qui transforme les humains en monstres. Face à la gravité et à l’imminence du péril, seules les solutions radicales paraissent pertinentes : envoyer à l’assaut du monstre Rusty le robot enfant, prototype d’une nouvelle arme japonaise dévastatrice. Et si par malheur cela ne suffisait pas, faire donner la cavalerie : Big Guy le gros robot américain, ultime rempart de l’humanité…
Frank Miller et Geoff Darrow savaient ce qu’ils faisaient en portraiturant leur lézard géant en dieu malfaisant, prolongeant ainsi, et de quelle spectaculaire façon, la nature divine de Godzilla tel que se la représente l’imaginaire japonais – à l’inverse de tant de transpositions cinématographiques qui ont cru pouvoir se passer de cette indispensable clé. Leur hommage à la pop culture nippone se retrouve également dans le personnage de Rusty l’enfant robot, clin d’œil explicite à Astro Boy et tous les avatars dont l’industrie des mangas a été si prodigue. Et hommage encore, par l’image, à la modernité altière de la ville japonaise – même allègrement malmenée, ici, par les poussées de colère de l’hyper reptile.
Ce qui apparaît comme le plus spectaculaire sans doute, à la relecture du titre à deux décennies de distance, c’est l’humour du projet. « Chaque tir coûte des millions de dollars aux contribuables », remarque ainsi Big Guy, un peu gêné, alors qu’il est engagé au cœur de l’action. Et à la fin de l’épisode, une fois le monde temporairement préservé de la montée des périls, le même songera par-devers lui, vainqueur mais cabossé pendant la conférence de presse finale : « Pff… Je déteste la comm’ ! ».
On ne peut pas ne pas s’amuser, avec Miller et Darrow, de voir à quel point ces deux-là se sont réjouis de leur jeu de massacre des symboles de la relation nippo-américaine. Au ridicule survitaminé de l’armée U.S., défenseur balourd et bas du front de l’archipel face aux menaces extérieures, répond celui du gouvernement japonais, dépeint comme une bande d’incapables débordés par la première crise venue… Dès lors, avec des protagonistes d’aussi peu d’envergure, on ne s’étonnera guère de la banalité des moyens employés par les héros pour mettre fin à la séquence baston : un bon coup d’immeuble McDonald’s, littéralement déraciné par Big Guy, sur le crâne des rejetons du monstre, et une éjection dans la stratosphère pour se débarrasser du lézard, capturé avec une rame de métro tournoyante exactement à la manière d’un lasso de cow-boy.
Pour le reste, il suffit de se délecter de l’incroyable minutie du travail graphique de Geoff Darrow, qui n’a probablement aucun autre équivalent humain sur cette planète. Je me souviens personnellement de l’effet de sidération ressenti à la découverte de ses premières images, publiées en France en 1986 chez Aedena. Un peu plus de trente ans plus tard, la sidération, heureusement, ne m’est toujours pas passée.
Big Guy and Rusty The Boy Robot, de Frank Miller et Geoff Darrow (Éditions Glénat, collection Comics, 112 pages, 17,95€)