À sa manière simple et directe, le titre, Dept. H – Meurtre en grande profondeur, délimite le territoire du livre : un lieu, le Dept. H, et un fait criminel qui va servir de ressort au récit. Maintenant creusons, ou plutôt, plongeons : le Dept. H est une base scientifique installée dans les profondeurs océanes, à moins 9.000 mètres. Une mort brutale vient de survenir dans la station sous-marine, d’autant plus choquante que sa victime n’est autre que le concepteur de la station, Hari Hardy, scientifique de renom et spécialiste des grands fonds, qui a voulu concrétiser par cette ambitieuse réalisation son engagement humaniste au service du progrès. Reste à élucider les causes exactes de ce décès soudain : tragique accident ou assassinat ?
C’est la propre fille de Hardy, Mia, qui descend en personne dans la station pour tenter de faire la lumière sur l’enchaînement des événements. Face à elle, une brochette de suspects parfaitement identifiés : sept personnes exactement, toutes expertes de l’une ou l’autre des disciplines scientifiques pratiquées au sein de la station. Et un calendrier, pressant : elle ne dispose que de vingt-quatre heures pour réunir les preuves matérielles de l’assassinat qu’elle suspecte, car au-delà de cette échéance la station, sabotée, sera entièrement inondée…
Sur le papier, Dept. H pourrait n’être qu’un polar parmi d’autres : unité de lieu, de temps et d’action pour une enquête criminelle à huis-clos. Disons une hybridation d’Agatha Christie, façon Mort sur le Nil ou Les Dix petits nègres, et d’Abyss – car bien sûr on ne peut pas ne pas penser au long métrage de James Cameron (1989), pour l’environnement des grands fonds et ses lourdes contraintes, rendus dans le film comme dans la bande dessinée de façon très crédible et avec beaucoup d’efficacité.
À l’usage pourtant, Dept. H réussit à être autre chose, et à exister autrement. Par une narration exigeante et élaborée tout d’abord, qui conjugue art du suspense et densité psychologique, sens du portrait et goût du rebondissement. Flash-back et réminiscences permettent au passé de ressurgir au fil de l’intrigue et de nourrir les interrogations sur ce qu’il s’est réellement passé (Mia l’enquêtrice est également la narratrice), ici en affinant le profil de tel ou tel protagoniste, là en mettant à jour correspondances secrètes et connivences inattendues.
À cette exigence générale répond, de manière parfaitement symétrique, un travail graphique lui aussi d’une belle rigueur, qui fait alterner passages oniriques et séquences d’actions, introspections psychologiques et moments d’émotion, sans jamais rien abandonner de son identité ou de ses options esthétiques. C’est dense, intense et parfois étrangement dérangeant, avec ici et là une sensation d’urgence ou d’oppression très en phase avec l’univers des abysses.
Futuropolis ouvre avec ce volume le premier volet d’une histoire en quatre tomes, dont on se demande déjà de quelle manière elle va pouvoir rebondir et se déployer. Près de sept cent planches pour un huis-clos aussi compact, c’est pour le moins ambitieux. La série a paru aux Etats-Unis, son pays d’origine, en 24 fascicules publiés par Dark Horse, l’un des principaux acteurs de la bande dessinée de qualité made in USA. Quant à l’auteur de Dept. H, Matt Kindt (ici secondé pour les couleurs par son épouse Sharlene, par ailleurs illustratrice), la critique le donne ces derniers temps comme l’un des auteurs issus de l’univers des comics à suivre en priorité lors des années à venir, ainsi qu’en témoigne par exemple la publication chez un autre éditeur, Monsieur Toussaint Louverture, d’un one shot remarqué également signé de son nom, Du Sang sur les mains.
Alors la suite, vite.
Dept. H – Meurtre en grande profondeur #1/4, de Matt Kindt & Sharlene Kindt (éditions Futuropolis, 168 pages, 22€)