Les Chroniques du DicoManga – Gunnm Édition originale

Il y a une dizaine d’années, j’ai conçu, dirigé et co-rédigé le DicoManga, première tentative française (et à ce jour la seule) de dictionnaire encyclopédique de la bande dessinée japonaise. Le livre a paru en 2008 aux éditions Fleurus. Il n’a été ni réédité ni réactualisé depuis. Afin de ne pas laisser totalement en jachère ce que je persiste à considérer comme un beau projet, et parce que j’ai gardé le goût des mangas, j’ai décidé de me remettre à chroniquer la bande dessinée japonaise traduite en langue française. Je le ferai désormais au gré de mes envies et de mes coups de cœur, sur un mode aléatoire, et sous la bannière générique des Chroniques du DicoManga. Voici la première de ces chroniques, consacré à une édition originale attendue de longue date par les amateurs.

Une vingtaine d’années après sa première parution, un classique du manga reparaît sur les marchés francophones, avec une nouvelle traduction et dans une version conforme à l’édition d’origine japonaise – c’est-à-dire avec un sens de lecture droite-gauche et un petit format. Gunnm (prononcer, conformément aux kanji de son titre japonais, « Gun-mu », soit littéralement « les armes et le rêve ») et son auteur Yukito Kishiro avaient surgi dans le paysage européen aux éditions Glénat en 1995, dans la foulée de la première vague du manga (Akira, Dragonball et consorts) et finalement assez peu de temps après la sortie originale japonaise chez Shueisha, qui date de 1990 pour la prépublication en magazine et 1991 pour la version livre de librairie.

Ancrée dans les référents alors en plein essor de la SF américaine (disons un spectre thématique et stylistique allant de Blade Runner aux explorations littéraires cyberpunk signées Bruce Sterling ou Walter Jon Williams), la série de Kishiro séduit un très large public dès sa parution, tant dans son pays d’origine qu’en Occident. Ses atouts : un univers visuel très fort interprété avec une belle virtuosité graphique et, sur le plan narratif, plusieurs niveaux de lecture propres à mobiliser d’emblée des publics très divers.

De prime abord, Gunnm se donne à voir comme un grand récit d’aventure sur fond de pessimisme post-nucléaire. Dans une ville aux allures de décharge géante, Kuzutetsu, un spécialiste de la cybernétique idéaliste et un peu chasseur de primes, Ido, sauve de la destruction une cyborg aux racines humaines, Gally, à laquelle il redonne un corps artificiel d’une puissance et d’une habileté exceptionnelles. Leur chemin croisera bientôt celui de l’horrifique Makaku, synthèse de ver et de robot géant qui vit dans les entrailles de la décharge et qu’il faut absolument anéantir.

Mais au-delà du seul registre des combats (il y en a beaucoup) et de l’action, la fiction proposée par Kishiro, comme tous les grands récits de SF, séduit tout autant par la profondeur philosophique de ses thèmes : la quête de soi d’un personnage attachant à la recherche de ses origines, l’interrogation sur les dévoiements de la science et de la technique, l’aspiration à la transcendance et bien sûr la question dickienne, vertigineuse parce qu’essentielle, de ce qui fonde l’humanité véritable. Le portrait du monde désespérant dans lequel évolue Gally (au sol la misère grouillante de Kuzutetsu, surplombée par la splendeur inatteignable de Zalem, la cité des airs), saisissant, achève de faire de Gunnm l’un de ces univers qu’on n’oublie plus.

D’un format relativement restreint pour un manga (9 volumes seulement), Gunnm a été prolongé par son auteur à partir de 2000 d’une suite, Gunnm Last Order. Les deux volets s’enrichissent désormais d’un prolongement en forme de space opera puisque la série se déplace dans le système solaire avec un sequel inédit en France, Gunnm Mars Chronicle, dont Glénat entreprend la publication simultanément. L’adaptation hollywoodienne de Gunnm serait pour 2018.

  • Gunnm – Édition originale tome 1, de Yukito Kishiro (éditions Glénat, 224 pages, 7,60€)

Nicolas Finet

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