Et aussi dans l’actualité : Bourseiller & Raynal, Yao Ren, Terreur Graphique

Les Situationnistes, de Christophe Bourseiller et Jake Raynal (éditions Le Lombard, La petite bédéthèque des savoirs, 72 pages, 10€)

Ce petit volume nécessaire et fort bien mené met paradoxalement en lumière la difficulté à traiter visuellement le monde des concepts. Et accessoirement souligne le réel mérite de cette « Petite bédéthèque des savoirs » à tenir le cap d’une affiche exigeante, en programmant des sujets graphiquement aussi ardus que le droit d’auteur, le minimalisme ou, ici, l’internationale situationniste, numéro 13 de la collection. Les « Situs », donc, ce collectif archi-groupusculaire actif de la fin des années 50 à l’orée des années 70, qui aura réussi la prouesse de préempter une bonne part de l’héritage culturel des années 60 en ne produisant guère plus qu’une poignée de livres (majeurs), quelques longs métrages de cinéma et surtout la capacité à susciter ces « situations » subversives qu’avait d’emblée théorisées son principal animateur, Guy Debord. C’est ici le scénariste, Christophe Bourseiller, spécialiste reconnu de l’histoire de l’activisme politique, qui mène le récit de cette incroyable aventure, le dessinateur Jake Raynal ayant pris le parti de la retenue iconographique, en abandonnant le premier rôle à la puissance des mots et de l’écrit. Bien vu, bien fait : on ne referme cette bande dessinée atypique que pour courir se replonger dans La Société du spectacle.

Les Petites contemplations, de Yao Ren (éditions Urban China Blog, 160 pages, 15€)

 Les parutions et les auteurs nouveaux en provenance de Chine sont suffisamment rares pour qu’on ne rate pas celles et ceux qui se présentent. Surtout lorsqu’ils semblent, à contre-courant de ce que l’on peut saisir, vu d’ici, de l’ordinaire de la bande dessinée chinoise, privilégier une expression sensiblement différente des sempiternels « classiques » de la pensée locale – Le Voyage vers l’ouest, Les Trois royaumes, Au bord de l’eau et consorts. Yao Ren, venu de la blogosphère chinoise et inaugurant du même coup un nouveau sous-ensemble du label Urban China dédié aux expressions venues d’internet, est de ceux-là.

Au premier abord, rien de révolutionnaire dans ces Petites contemplations conçues comme une suite de récits fugaces, d’échappées presque évanescentes dans la grande ville chinoise. On pourrait presque, presque seulement, se laisser dissuader d’aller plus loin par le classicisme un peu appuyé de certains des textes. Et puis, pour peu qu’on lâche un peu prise, l’attraction opère, le charme agit. On se laisse prendre aux ambiances subtiles de ces histoires de presque rien, traitées avec une retenue et une simplicité graphique assez convaincantes – ici la découverte d’un restaurant de quartier et de sa succulente cuisine, là une longue déambulation sous la pluie, là encore un compagnonnage silencieux avec une bande de chats errants au cœur de l’hiver, sur la piste des refuges secrets qui leur permettent de survivre aux grands froids. L’influence des mangas, perceptible, reste suffisamment discrète et maîtrisée pour ne jamais basculer du côté de l’hommage servile.

Mais, surtout, l’universalité du propos s’impose vite comme une évidence. C’est à la fois très chinois (l’un de mes amis de Guangzhou avait intitulé l’une de nos soirées partagées ensemble « savourer le spectacle de la lune », juste pour vous dire ce que l’imaginaire en Chine peut parfois receler de poésie de l’ordinaire) et parfaitement transculturel. À Beijing comme à Tokyo ou Paris, des hommes ont en partage le goût de la contemplation, le sens de l’intimité partagée avec la nature (ou ce qu’il en reste), l’élan vers le ruissellement de l’eau ou la forme d’un nuage, l’émotion ressentie au partage d’un plat. On pense à Taniguchi, bien sûr, dont Yao Ren se rapproche parfois. Il y a bien une internationale des promeneurs solitaires et de la déambulation au hasard de leurs pas. On s’en doutait un peu, mais c’est encore mieux de le découvrir sur pièces.

Ces gens-là, de Terreur Graphique (éditions Dargaud, 96 pages, 15,99€)

Sous le double patronage de Jacques Brel, pour le titre, et de Claire Bretécher, pour à peu près tout le reste, voici donc une sélection des meilleures planches parues sur le blog de Terreur Graphique, hébergé par le quotidien Libération (là, ça faiblit un peu du côté des références, mais la presse écrite d’information étant ce qu’elle est, c’est-à-dire moribonde…). Des gens, donc, des gens d’aujourd’hui, assis, debout, vautrés, couchés, mais quand même plus souvent avachis qu’hyper-toniques (Bretécher, on y revient), qui tchatchent, blablatent, bavassent, déblatèrent, ergotent, placotent – et même si c’est assez souvent drôle, le fond de l’affaire ne l’est pas tellement, drôle, tant ce que dépeint le chroniqueur est d’une abyssale vacuité. Au point de s’étonner, d’ailleurs, qu’il n’ait pas davantage la dent dure, comme il a souvent su l’avoir auparavant. Quelque chose comme un recentrage, que l’on voit à l’œuvre dans une certaine rondeur du trait ; moins de Terreur et plus de Graphique, si on veut. Je ne suis pas certain de ne pas préférer ses travaux antérieurs, plus trash. Mais bon, il faut bien que tout le monde vieillisse. Tant que ça ne nous condamne pas à lire Valeurs actuelles

Nicolas Finet

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