Une vie de Goscinny, déjà vu, déjà lu, non ? Sauf qu’il y a la touche Catel, et que ça change tout. Et sauf, bis, qu’elle a eu accès à des sources et à une version de l’histoire dont n’ont pas bénéficié les précédents biographes du grand scénariste : la voix et les documents d’Anne Goscinny, sa fille.
Du coup, Catel a même fait de sa rencontre avec Anne Goscinny la matière d’une partie de son livre. Leurs dialogues autour de ses souvenirs personnels, remis en scène pour les besoins du Roman des Goscinny, permettent d’entrer dans l’évocation de la vie du personnage de manière plus intime, plus complice, et avec un point de vue – l’amour d’une fille pour son père – qui nous le rend d’emblée encore plus attachant.
Catel a en outre privilégié un choix narratif qui me semble être le plus intéressant : se focaliser prioritairement sur ce qui a précédé la gloire du grand homme. Les origines familiales, les environnements où il a grandi et mûri (l’Argentine, les Etats-Unis), les années de formation, le faisceau d’influences, d’amitiés et de circonstances singulières qui lui font croiser le chemin de la bande dessinée… ainsi s’enchaînent les péripéties grandes ou petites qui aboutissent à construire, peu à peu, ce destin d’artiste d’une envergure exceptionnelle. Un peu plus de trois cent pages plus loin, le livre s’achève à peu de choses près en août 1959 avec la naissance de Pilote et d’Astérix, soit le moment où, en réalité, commence pour de bon tout ce qui va faire la renommée puis la légende de René Goscinny.
Entretemps, on aura pu s’immerger, et c’est le vrai bonus documentaire de l’album, dans une sélection d’extraits et de reproductions qui nous donnent à voir une petite partie des travaux d’illustration et de bande dessinée de l’aspirant-auteur, bien avant que son destin ne bascule. Je n’en connaissais pas la moitié et même si bon nombre de ces images sont aujourd’hui datées, elles mettent bien en valeur, au fil des années, la persistance du projet de Goscinny : faire rire.
Enfin, il y a la manière, la façon de mener cette biographie amicale et souvent tendre. Je ne connais pas beaucoup d’auteurs ou d’autrices qui, comme Catel, possèdent à ce point le sens de la lisibilité et la fluidité. Ici ces qualités sont partout présentes, pour nous rendre cette histoire à la fois attachante et immédiatement accessible. On s’amusera au passage de la saveur presque historique de certaines séquences, comme la récurrence des moments de labeur intense où René et ses comparses, pour se redonner du cœur à l’ouvrage, donnent l’impression, un peu comme dans Mad Men, de passer leur temps à boire un coup.
Il y a aussi, c’est moins drôle, mais saisi sur le vif, ce qu’on pourrait appeler le « moment Hergé » : une seule image, page 288, où René encore peu connu en dehors des circuits professionnels croise la route du maître, auquel il serre la main, enchanté. La réponse de l’autre tient en une demi-douzaine de mots : « Goscinny, c’est étranger, n’est-ce pas ? » Ça sent l’anecdote authentique. Tout est dit.
Le Roman des Goscinny – Naissance d’un gaulois, de Catel (Grasset, 344 pages, 24€)