La figue et le repris de justice

It’s a dirty job, but someone’s got to do it. Sale boulot, mais il faut bien que quelqu’un s’en charge.

Ainsi débute, en version japonaise rurale, le nouveau récit seinen de Tetsuya Tsutsui – le dicton populaire s’appliquant ici aux sangliers en surnombre, dont il est nécessaire de réguler les populations. On se doute néanmoins d’emblée, bien sûr, que ce n’est pas exactement aux sangliers que s’applique cette image commode, mais à un autre type de ravageurs, sur deux pattes…

Très solide graphiquement, et mené par un auteur d’expérience dont on perçoit tout de suite qu’il maîtrise en expert les ficelles de la narration en images, Noise prend d’emblée un parti intéressant : planter son intrigue à la campagne. Pas si courant dans l’univers du manga d’aujourd’hui, tellement prompt à cultiver la fibre urbaine qu’on en avait presque oublié qu’il existait autre chose que des villes dans le Japon contemporain.

Soit Shishikari, donc, un bourg rural rizicole à deux heures de Nagoya, exposé comme tous ses semblables au fléau du Japon moderne : le vieillissement de sa population et son corollaire, le dépeuplement progressif des campagnes. Ici pourtant, le contexte est encourageant : un jeune agriculteur du cru, Keita Izumi, vient de mettre au point une nouvelle variété de figue dont le succès médiatique et commercial est facteur de relance pour la fragile économie locale. Hélas, une bonne nouvelle surgit souvent flanquée de son opposé : la soudaine notoriété du village y a attiré un personnage patibulaire, récemment libéré de prison, qui cherche justement à se faire embaucher comme journalier sur le verger Izumi.

Sur ses gardes, Izumi se renseigne sur le nouveau venu en compagnie de Jun Tanabe, un ami chasseur qu’il emploie également sur l’exploitation. Leurs recherches sommaires les amènent à identifier l’inconnu : Mutsuo Komisaka, naguère condamné pour le viol et le meurtre d’une étudiante qu’il avait ensuite découpée en morceaux. L’homme a beau avoir été libéré pour bonne conduite quatorze ans après les faits, il n’a manifestement rien oublié de ses dangereuses pulsions. Or c’est précisément ce moment que choisissent Erina et Kana, la fille et l’ex-femme d’Izumi pour faire un passage au village, afin de régler les détails de la garde partagée de l’enfant. Et le physique avantageux de Kana ne laisse visiblement pas indifférent l’ancien prisonnier libéré…

Noise exploite habilement une figure scénaristique et dramatique bien connu : l’irruption d’un individu menaçant et incontrôlable dans une communauté fermée. Comment la collectivité doit-elle réagir – et, accessoirement faire corps, pour ne pas dire anticorps ? Ce sera toute la question dès le premier volume de cette série courte annoncée comme une trilogie. Avec à la clé, sous le regard inattendu d’un témoin extérieur à ce huis clos (un flic venu enquêter, évidemment), une possible inversion des figures psychologiques attendues : et si le méchant n’était finalement pas celui qu’on croit ?

Noise tome 1, de Tetsuya Tsutsui (Ki-Oon, collection Seinen, traduction David Le Quéré, 198 pages, 7,90€)

Nicolas Finet

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