Quel festin ! Quel régal ! J’avais aimé, sincèrement, Portugal puis Les Équinoxes, chez le même éditeur. Mais avec L’Âge d’or, présenté comme le premier volume d’un diptyque annoncé, il me semble que Cyril Pedrosa, ici en compagnie de Roxanne Moreil au scénario, vient de franchir une étape décisive, pour rejoindre le cercle des tout grands. Alors voyons ça.
Dans une chromie d’emblée flamboyante, ponctué de doubles pages tour à tour pleines de mouvement ou figées sur un instant clé, L’Âge d’or nous installe dans un univers médiéval peu identifié chronologiquement – mais là n’est pas l’important, bien sûr ; ce qui compte, c’est la manière, le ton : il était une fois, dans un royaume du temps jadis… Ce royaume-là, pourtant, n’est pas pour autant un endroit à recommander. À la cour du roi tout juste décédé, on s’agite fort pour grappiller les miettes d’un pouvoir soudain vacant. Et c’est un complot de palais qui va brutalement évincer du trône son héritière pourtant légitime, la princesse Tilda. La politique et ses vicissitudes, déjà.
Contrainte à la fuite pour ne pas être emprisonnée, la jeune héritière déchue, avec le seul concours d’une poignée d’hommes dévoués fidèles à la mémoire de son père, s’enfuit en direction du seul endroit encore libre, la Péninsule, et trouve refuge, au cœur d’une forêt profonde, dans une étrange communauté paisible et savante, où le pouvoir est entre les mains des femmes… C’est là qu’elle sera mise sur la piste du trésor secret qui constitue l’héritage occulte de son défunt père.
D’une richesse thématique au moins aussi étendue que son vocabulaire graphique, L’Âge d’or entremêle avec bonheur références, influences, trouvailles et audaces pour livrer à ses lecteurs une sorte de spectacle total d’où la profondeur et la réflexion ne sont jamais absentes. Les personnages sont solides et fouillés, avec ce qu’il faut de relances et de surprises pour soutenir l’attention au long cours (près de 230 pages, tout de même). Mais, au-delà de tous ces atouts, c’est la forme qui est éblouissante, dans une imagerie qui rappelle à l’évidence certaines des scènes et histoires figurées sur les tapisseries qui nous sont parvenues du Moyen-Âge. Cyril Pedrosa, plus qu’inspiré, a mis au point un traitement graphique d’une puissance et d’une luxuriance visuelle irrésistibles, qui donnent chair à son étonnante utopie médiévale féministe avec énormément de personnalité. Féérie et enchantement à tous les étages.
Il faut saluer ici, bien sûr, les choix certainement décisifs de l’éditeur, qui prend le risque de donner à ses auteurs le confort de création et d’expression nécessaire – autrement dit la distance, la longueur, l’ampleur – pour laisser se déployer leur imaginaire et leur intrigue en toute liberté. L’Âge d’or est plein de silences, de respirations, de pauses – autant de pratiques pas si fréquentes en bande dessinée, et qui jouent ici un rôle clé dans l’impact et le style de la narration. Un travail habité, absolument.
L’Âge d’or, tome 1, de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil (éditions Dupuis, collection Aire Libre, 232 pages, 32€)