Citations / Quotes

• “(Ilyine) imagine ce qui se passera lorsque le pouvoir communiste s’écroulera et annonce qu’après un “chaos qui durera quelques années, des violences et des tentatives séparatistes soutenues par des puissances étrangères”, le salut viendra de la “dictature nationale”. Les élections ne joueront plus alors un rôle important. Et ce n’est pas tout, car Ilyine espère un “Guide” qui “sache ce qu’il faut faire”. Il conclut : “Le guide sert au lieu de faire carrière ; combat au lieu de faire de la figuration ; frappe l’ennemi au lieu de prononcer des mots vides ; dirige au lieu de se vendre aux étrangers.” Le programme poutinien est écrit. Le modèle de la “verticale du pouvoir”, de la “démocratie souveraine”, l’hostilité aux puissances étrangères (qui est un point commun avec le soviétisme) en découlent.” (Dans la tête de Vladimir Poutine, Michel Eltchaninoff, édition augmentée, pages 55 et 56, Actes Sud, collection Babel Essai, 2022)

 

• “(…) “Mais elle est folle, celle-là“, dira Christine Vuillemin, qui intentera un procès en diffamation à Serge July et Marguerite Duras, dont elle sera déboutée en 1994. On sait l’influence de cette intervention de Duras sur Christine Angot, “tellement Duras tendance Vuillemin” (dixit elle-même). Avec des mots d’aujourd’hui, on dirait que Duras a voulu faire du buzz. Les armes de la puissance médiatique actuelle, le clash et le buzz, la recherche égotique du petit scandale sont devenus ceux mêmes des écrivains, dans leur lutte pour survivre au sein d’un monde qui a fini par précariser leur classe sociale d’origine (la petite bourgeoisie), les jouant les uns contre les autres comme des starlettes en renchérissant sur leur narcissisme. Qui dira le degré hallucinant de vampirisme méthodique que cette pratique révèle : utiliser des vies humaines de gens qui n’ont rien demandé, les traquer, les abattre comme des bêtes, les manger, les ingurgiter et les chier ou les vomir pour en faire des livres.  C’est le contraire exact de l’alchimie : on ne prend pas du mort pour en faire du vivant, mais on chasse du vivant pour chier de la mort. Toute cette littérature française faite de ragots et de règlements de comptes, sordidement sublime ou sublimement sordide, est une chiasse de mort déversée dans les égouts de la psyché collective (…).” (L’enquête infinie, Pacôme Thiellement, pages 321 et 322, PUF, 2021)

 

• “(…) L’ascenseur s’arrêta au quatrième et elle tira Jimmy par le bras. Il lui résista.

   Elle s’appuya à la porte pour l’empêcher de se refermer.

   – Si tu ne viens pas, je vais faire une scène, menaça-t-elle.

   – Te gêne pas.

  Un des passagers masculins murmura :

   – Si elle insiste, moi je veux bien y aller.

   – T’as juste dit ce qu’il fallait pour coucher sur le tapis brosse jusqu’à la fin d’la semaine, sale nègre, fit la femme qui l’accompagnait.

   – Oh ! Mama ! fit l’autre, tout penaud. Je plaisantais.

   – Moi pas, dit la femme.

   – Tu viens, bon Dieu, fit Linda.

   Les regards lourds de reproches des autres passagers impressionnèrent Jimmy qui se laissa traîner hors de l’ascenseur (…)” (Dare-dare, Chester Himes, page 196, traduit de l’américain par Pierre Verrier, Gallimard, Série Noire, 1959)

 

• “(…) Comme toute la deuxième partie de l’œuvre de J.G. Ballard en témoigne, nous vivons dans un biotope médiatique-technologique où le plus haut degré d’adaptation coïncide avec le développement de psychopathologies sévères. Seuls les psychotiques, les hystériques et les schizophrènes profonds parviennent à se sentir entièrement à l’aise dans ce monde disloqué, comme s’il avait été construit selon le plan piranésien de leurs méandres psychiques. Chaque nouvelle technologie n’est pas l’extension de la rationalité scientifique à la vie quotidienne, mais l’occasion de la révélation de perversions cachées qui ne demandaient que l’entremise de nouveaux moyens techniques pour s’épanouir.” (Los Angeles Capitale du XXe siècle, Bruce Bégout, page 170, Inculte / Barnum, 2019)

 

• “(…) Affamés, terrifiés, l’âme brisée par les injustices que ne manqueront pas d’accumuler des institutions politiques dysfonctionnelles nées de la pénurie et de l’insécurité, les hommes de la fin des temps reculeront de moins en moins devant le crime de masse comme moyen pour confisquer les derniers systèmes vitaux disponibles : transports, énergie, eau potable, etc. Rien dans tout cela n’exige un gros effort d’imagination : la science-fiction post-apocalyptique (qui prend d’ailleurs pour objet les derniers temps et non, par définition, les temps où tout serait fini), par simple projection amplifiée des malheurs de notre temps, nous y a habitués. En cela, ses chefs-d’œuvre jouent pour notre époque un rôle analogue, mais bien sûr symétrique et inverse, aux grandes utopies de la Renaissance, celles de More ou de Campanella. Elles en sont la réverbération rigoureuse dans l’imaginaire, une fois que l’onde de l’espoir placé dans la liberté a heurté le mur de la fin de l’histoire, c’est-à-dire de l’humanité. Comme les temps de la fin commencent aujourd’hui, pas demain, on fera sans risque l’hypothèse qu’ils ont commencé, sinon avec Auschwitz et Hiroshima, du moins au moment fatal où nous avons compris que ces faits atroces ne constituaient plus des sommets indépassables de l’horreur, des événements dotés d’une portée eschatologique définitive qui les immuniserait contre toute répétition, mais qu’ils ont juste pris place dans la trousse à outils du politique pragmatique, soigneusement rangés aux côtés de la famine organisée, du viol de masse, du nettoyage ethnique et des usines à torture, avec tout ce qui est requis par et pour la perpétuation des injustices, petites et grandes.” (Le Mal qui vient – Essai hâtif sur la fin des temps, Pierre-Henri Castel, page 50, Les éditions du Cerf, 2018)

 

• “(…) Bien qu’on fût en pleine saison des pluies, le ciel était, pour une fois, d’un bleu laiteux intense, comme dans les peintures religieuses italiennes, texturé par des taches roses et floconneuses et des trainées blanches évoquant les fils de salive entortillés qu’on peut voir presque sur tous les bords de trottoirs, luisants d’essence irisée perdue par les voitures intégralement hermétiques. Franck passa sous les bannes à rayures vertes des épiceries, regardant autour de lui d’un air abattu. Il était 6h 30. À la laverie Fabulous Daviton, les machines vert kaki, les tuyaux des tambours et les valves de dissolvant luisaient derrière la vitre, avec derrière eux rien que l’obscurité. L’haleine de Franck jaillissait de sa bouche comme un ballon d’un blanc spectral. Dans la crêperie, le cuisinier étalait déjà sa pâte en cercle sur le comptoir. Avec sa chemise violette et son tablier blanc, il paraissait grandiose et magnifique aux yeux de Franck. Franck l’observa timidement par la vitre un long moment, mais jamais l’homme ne leva les yeux de sa pâte. – Une joggeuse passa ; elle portait un T-shirt blanc et un short noir. Sur le trottoir, au coin d’Irving Street et de la Dixième, des oiseaux noirs et dodus se pavanaient en becquetant des miettes. Avec leurs petites pattes raides et leur corps recouvert de plumes, ils décrivaient sans effort des lignes droites, à la différence de Franck, qui était ivre et épuisé. Leurs yeux verts luisaient telles des loupiotes de témoins de batterie. Pendant un moment, ils furent presque une douzaine au pied d’une bouche d’incendie, puis un taxi passa devant eux et tous s’envolèrent. Il ne resta rien sur cette partie du trottoir hormis un emballage de chewing-gum, un éclat de peinture et une feuille d’eucalyptus.” (Les Anges radieux, William T. Volmann, page 779, traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro, Actes Sud, collection Exofictions, 2016)

 

• “(…) Conxa Pujol avait été une enfant brune, magnifique, avec une impondérable peau de fruit et des yeux phosphorescents d’animal des Tropiques. Dans la famille, tout le monde disait que Conxa ressemblait à sa grand-mère, la jeune mulâtresse que le vieux Pujol avait ramenée dans ses bagages. Conxa avait un je-ne-sais-quoi de perle languissante mais avec ses instants de frénésie. C’est à Saint-Pol-de-Mar, où son père avait fait agrandir et aménager confortablement la maison de ses grands-parents, que Conxa passa les étés de son adolescence, avec des nuits vaporeuses, pleines d’étoiles filantes et parfumées à la vanille. M. Pujol conservait dans cette maison des souvenirs de l’ancien métier de la famille et des souvenirs des navigations, des affaires et des habitudes de l’aïeul. Les heures d’oisiveté de Conxa Pujol, entre les murs blancs de la maison de vacances d’été, n’étaient que rêves de voiles, de gravures de Porto Rico, de nègres vêtus de culottes blanches rayées de rouge et à la poitrine couverte d’une sueur qu’on nettoyait à coup de cravache, d’oiseaux au vol sinueux comme s’ils avaient le ventre plein de rhum ; tout un rythme d’eau et de “rumba”, toute une sensualité de madrépore et de corail.

Conxa Pujol remuait des livres aux gravures impressionnantes, des journaux de bord, des cartes et des portraits de famille ; sur la plage elle se faisait brunir la peau avec une patience d’esclave ; elle allait dans un endroit écarté, au milieu des roseaux tranchants et assoiffés, afin que personne ne la voie et elle pouvait ainsi rester presque nue sur le sable et observer la manière dont ses seins, parfaitement proportionnés, prenaient cette luisance douce et ambrée des fruits du palmier.” (Vies privées, Josep Maria de Sagarra, page 138, traduit du catalan par Nicole Pujol, Christian Bourgois, 2015)

 

• “(…) Bien que les prédictions des Fondamentalistes d’Armageddon se fussent intensifiées, et que les autres se plaignissent de tout avec une amertume croissante, de l’absence de chewing-gum à la fermeture de l’Hôpital général de Redwood, malgré tout, chez la plupart des gens régnait une étrange impression de gaieté, une sorte de soulagement secret, le même sentiment qu’Eva et moi éprouvions tous les deux ou trois ans quand la rivière qui traverse Redwood débordait, inondant les routes et paralysant les entreprises pendant un jour ou deux. Nous savions qu’une crue était fâcheuse et provoquait des ravages. Pourtant, nous ne pouvions nous empêcher d’être saisies d’une étrange exaltation à l’idée que quelque chose hors de notre portée fût suffisamment puissant pour détruire l’inexorabilité de notre routine.” (Dans la forêt, Jean Hegland, page 29, traduction Josette Chicheportiche, Gallmeister, collection Totem, 2017)

 

• “Je vous demande de vous arrêter !” Édouard Balladur, 23 avril 1995.

 

• “(…) En arrivant, je passais sans m’attarder dans la grande pièce du bas, et j’étais en train de monter les escaliers pour rejoindre l’étage, quand je croisais dans le couloir un type à tête ronde et lunettes qui portait un anorak rouge genre K-Way, qui m’arrêta pour se présenter à moi. C’était Sha Pan, mon nouvel interprète, que tout le monde ici appelait Olivier, en raison de cette habitude répandue dans les cours de langue française en Chine de doter les étudiants chinois d’un prénom français (ainsi Xu Ningshu était Christian et Sha Pan Olivier), ce qui, personnellement, me paraissait un peu gandin, mais, surtout, ne me semblait pas, littérairement, pertinent (c’est comme si, voulant parler de Chen Tong dans un livre, je l’avais appelé Robert). Je n’appellerai donc pas Sha Pan Olivier dans ce livre, même si, par mimétisme, porté en quelque sorte par l’élan communicatif qui faisait que tout le monde au bureau l’appelait Olivier, je l’avais moi aussi, dans la vie réelle, plus que de raison, appelé Olivier. Mais on n’est pas dans la vie réelle, ici. Je suis chez moi, dans ce livre, et je l’appellerai Sha Pan si je veux.” (Made in China, Jean-Philippe Toussaint, page 150, Les Éditions de Minuit, 2017)

 

• “(…) Dimanche 14 août. Quand je me réveillai le lendemain matin et regardai de mes fenêtres le panorama de San Francisco, avec ses hangars, ses tours et ses clochers, ses tribunaux, théâtres et hôpitaux, ses journaux quotidiens, ses activités urbaines et professionnelles, ses forteresses et ses phares, ses quais et son port, avec ses grands voiliers, plus nombreux qu’à Londres ou à Liverpool – contemplant ainsi cette capitale d’un des États de la République américaine, entrepôt privilégié d’un nouveau monde qui venait de s’éveiller – le Pacifique -, quand je regardai de l’autre côté de la baie, vers l’est, et que j’aperçus une belle ville sur les rives fertiles et boisées de la Contra Costa, avec des vapeurs, grands et petits, qui s’entrecroisaient aux quatre coins de la vaste baie et de ses affluents, mêlant leurs fumées à l’horizon, quand je vis tout cela et me rappelai l’aspect que ce même site avait présenté autrefois, je mesurai tout le contraste du passé et du présent, et j’eus une impression d’irréalité : il me sembla que je me trouvais devant une vision de rêve, ou dans un songe d’anticipation.” (Deux années sur le gaillard d’avant, Richard Henry Dana, traduction Simon Leys, chapitre “Vingt-quatre ans après” (1859), Petite Bibliothèque Payot / Voyageurs, 2002)

 

• “(…) Peignant à partir de cadavres, de demi-charognes, il exprimait l’absurde condition naturelle, la brutalité sans rime ni raison, la mort et la dévoration. Le Cerf forcé, un tableau monumental que lui acheta le musée de Marseille en 1865, est à la lettre affreux. Ce sont les dents de la bête effarée qui vous mordent, l’haleine jaunie par la macération de feuilles et d’écorces dans son estomac, avec les gerbes de ses cors en chandeliers funèbres. Le cou est une souche pourrie. Impossible de trouver le sommeil en présence d’une telle image.

Telle autre fois, sur un paysage de neige en tout point admirable, Courbet suspend le cadavre d’un renard par une patte, à la branche d’un arbre. Sa babine retroussée laisse échapper un peu de sang. Au second plan de ce calvaire, on aperçoit un chemin doucement sinueux, aux abords plein de clémence. Qui a rompu, qui a pendu le renard et pourquoi ? C’est Courbet dans son atelier, avec du fil de fer, c’est entendu. Mais dans la fiction ? Dans l’histoire que livre ce tableau ? Un absurde martyre. Une cruauté de crucifieur de chouettes, d’écorcheurs de chats. Ce renard aux outrages équivaut probablement à une grappe de crânes appendue dans la jungle.” (La Claire fontaine, David Bosc, Verdier, 2013)

 

• “(…) L’autre boisson populaire, vendue encore moins cher, était une mixture à base de Sterno, ou “Canned Heat”. L’un de ses effets secondaires était le “Jake Leg“, une paralysie des membres. Mager Johnson, la sœur de Tommy Johnson, fut marquée par la consommation régulière que faisait son frère de cette boisson : “C’était un liquide rouge. Il était vendu dans de petites boîtes qu’on trouvait à l’époque. Mon frère commençait par retirer le couvercle de la boîte, puis il craquait une allumette et mettait le feu à ce qu’elle contenait, brûlant la surface. Il filtrait alors le liquide à travers un torchon, qu’il pressait ensuite au-dessus du verre. Il ajoutait du sucre et de l’eau. Et voilà, c’était prêt. Ici à Copiah, plein de gens buvaient ce truc.” (Muddy Waters – Mister Rollin’ Stone, du delta du Mississippi aux clubs de Chicago, Robert Gordon, traduction Emilien Bernard, RivagesRouge, 2014)

 

• “(…) Puis, dans le mois de novembre, arrivèrent à la suite de ces traînards de mystérieuses figures nocturnes. On ne savait ce qu’il en était. Ils étaient diversement vêtus, les uns ayant pourpoints noirs et chapeaux rouges, aumusses fourrées de menu vair, d’autres, manteaux de soie vermeille et chaperons à cornette de soie verte, quelques-uns paraissant seigneurs, à longues robes de velours noir, fourrées de martre, certains semblant des femmes déguisées, à toque violette avec un bavolet. Tous étaient armés, plusieurs ayant ceinturon et haubert.

Mais ces hommes de nuit se distinguaient des autres par une habitude terrifiante et inconnue : ils avaient leurs visages couverts de faux-visages. Or ces faux-visages étaient noirs, camus, à lèvres rouges, ou portant de longs becs arqués, ou hérissés de moustaches sinistres, ou laissant pendre sur le collet des barbes bariolées, ou traversant la figure d’une seule bande sombre entre la bouche et les sourcils, ou semblant une large manche de jaque nouée par en haut, avec des trous par où on voyait les yeux et les dents.

Le peuple donna aussitôt à ces hommes le nom de “Faulx-Visaiges” ; on n’avait jamais rien vu de semblable dans le plat pays (…) Ces gens se répandirent autour de Creully où Matthew Gough, Anglais, était seigneur, et ravagèrent la contrée de façon horrible. Car les Faulx-Visaiges tuaient cruellement, éventrant les femmes, piquant les enfants aux fourches, cuisant les hommes à de grandes broches pour leur faire confesser les cachettes d’argent, peignant les cadavres de sang pour appâtir les métairies et les réduire par la peur. Ils avaient avec eux des fillettes prises le long des cimetières, qu’on entendait hurler dans la nuit. Personne ne savait s’ils parlaient. Ils surgissaient du mystère et massacraient en silence.” (Le Roi au masque d’or et autres nouvelles fantastiques – Les Faulx-Visaiges, Marcel Schwob, Bibliothèque Marabout, 1973)

 

• “(…) il faut évoquer la difficulté terrible à entamer, puis à finir ce livre : aucun être humain – lecteur occasionnel ou régulier – n’est préparé à une lecture aussi spectaculairement catastrophique, à un vocabulaire aussi pauvre, à une ponctuation aussi mal employée. Ce n’est pas un livre dur à lire comme peuvent l’être, au hasard, Normance de Louis-Ferdinand Céline, Finnegan’s Wake de James Joyce ou Exterminateur de William Burroughs : c’est un livre dur à lire tant il est mauvais.” (Christine Angot, la bulle médiatique et le néant, Nicolas Ungemuth, Le Figaro, 7 septembre 2015)

 

Lester Bangs sur Bukowski : “(…) comme il l’a dit plus tard, “Je voulais être écrivain et j’avais la trouille”. Cette nuit-là, il se soûla à mort et écrivit une trentaine de pages. Le lendemain, il se soûla à mort et en écrivit une quarantaine. La plus grosse part de ce qu’il retrouva le lendemain sur le sofa, et dont on peut être sûr qu’il ne se souvenait pas l’avoir écrit, était non seulement utilisable, mais bon. Et même de la littérature. Beaucoup d’écrivains tentent de reproduire des expériences comme celle-là, vu qu’ils croient au mythe selon lequel pour bien écrire il faut être une épave alcoolisée. Et je suis heureux qu’ils y croient car ce sont presque tous des auteurs atroces qui finiront clodos au lieu de nous gonfler d’une manière ou d’une autre (…).” (Fêtes sanglantes et mauvais goût, traduction Jean-Paul Mourlon, éditions Tristram)

 

• “Le sexe tout à la fois m’obsède et m’ennuie. Il m’ennuie parce que le choc précieux de l’indécence s’y manifeste rarement. Qui dira le désarroi de l’érotomane privé d’interdits ?” (Ma vie, mon œuvre, en douze pages, pour en finir avec cet épisode et passer à autre chose, Jean-Claude Forest, (À Suivre) n°73, février 1984)

 

• ” (…) Il travaillait le jour à des boulots de misère dans les usines de la ville, et la nuit il jouait de la guitare dans tous les clubs et les bars qui voulaient bien l’accepter. Il y jouait la musique avec laquelle il avait grandi, là-bas, près de Clarksdale, au pays de Charley Patton, de Blind Blake et de Blind Lemon Jefferson. Mais sa musique à lui devait moins à l’influence de ces maîtres du blues qu’à celle de son beau-père qui les lui avait fait découvrir, et dont il avait adopté le style âpre et minimaliste, un blues tellement primitif qu’il semblait venir d’avant le blues, qu’il semblait sortir directement du fin fond de l’âme humaine. Un blues dont la puissance nue toucha immédiatement Bernie Besman lorsqu’il l’entendit pour la première fois, et plus encore lorsqu’il put voir sur scène celui qui chantait ces chansons qui n’en étaient pas, et qui pourtant laissaient deviner une force inouïe. Il fit immédiatement signer à John Lee Hooker un contrat de management, et il l’emmena à United Sounds, le seul studio de Detroit aux normes professionnelles, pour lui faire enregistrer ce qui deviendra son premier 78 tours. Il aurait pu le faire accompagner par d’autres musiciens, façon Blind Blake et Charlie Spand, ou Tampa Red et Big Maceo, mais il y avait dans cette musique quelque chose de hanté, d’irréductible, qui lui fit préférer l’enregistrer seul : une guitare, une voix, une planche à ses pieds pour battre la mesure, et rien d’autre (…) Il disait tout cela d’une voix forte, en martelant sa guitare comme un possédé, répétant à l’infini une sorte de boucle qui ressemblait à celles qui, cinquante ans plus tard, feraient trembler les murs des entrepôts délabrés de Detroit. Et le résultat de tout cela était une chose incroyable. Un bloc d’énergie brute, un boogie comme surgi de la préhistoire de toutes les musiques des Etats-Unis, et qui se répandit à une vitesse folle dans tous les juke-boxes, dans toutes les boutiques, dans toutes les sonos de l’Amérique noire.” (Detroit Sampler, Pierre Evil, Ollendorf et Desseins)

 

• “It is by the goodness of God that in our country we have those three unspeakably precious things: freedom of speech, freedom of conscience, and the prudence never to practice either.” (Mark Twain – with a little help from Jean Beghin)

 

• “Les troupes de fusées stratégiques. Elles sont destinées à détruire les moyens d’attaques nucléaires ennemis, les grandes concentrations de troupes et les bases militaires ennemies, les ouvrages de l’industrie de guerre, ainsi qu’à désorganiser la direction militaire et celle de l’État, le travail de l’arrière et les transports de l’agresseur. À cette fin, les troupes sont dotées d’excellentes fusées de portée moyennes et de fusées intercontinentales, de moyens de guidage fiables. Les Troupes de fusées stratégiques disposent de moyens de combat d’une prodigieuse force de destruction. Voilà pourquoi cette armée des Forces armées soviétiques est aujourd’hui le principal moyen de dissuasion de l’agresseur. Le Parti communiste et le gouvernement soviétique apportent une attention inlassable au développement qualitatif des troupes de fusées stratégiques. Ce développement vise le perfectionnement ultérieur de la structure organisationnelle des troupes, l’amélioration du système et des méthodes de direction sur la base des réalisations de la science et de la technique. L’instruction des servants des fusées se perfectionne sans cesse. Il en résulte que les Troupes de fusées stratégiques se sont considérablement développées ces derniers temps et sont devenues encore plus puissantes.” (Au service du peuple, Moscou, 1988, auteur, traducteur et éditeur anonymes)

 

• “Chez Le Guin, nous sommes donc confrontés à une sorte d’alternance binaire entre le principe de réalité de la SF et le principe de plaisir de la fantasy. En ce sens, l’utopie est peut-être une synthèse opératoire de ces deux incommensurables : la suprême créativité de l’élan façonnant de la fantasy agence le matériau brut le plus récalcitrant qui soit, l’État et l’ordre social (…) Mais la possibilité même du pastiche est chez Le Guin intimement liée à la nature de sa prémisse philosophique : la réalité est un réseau continu dont on ne peut tirer aucun fil sans changer simultanément le tout. On retrouve notre vieille amie la totalité synchronique, et passer de l’une de ces totalités à l’autre, c’est comme traverser une zone délirante et inconnue des cartes, dont l’être est parcouru d’ondes et de vibrations incompréhensibles (…) C’est peut-être là que l’on peut distinguer Dick de Le Guin : si cette dernière souligne le changement, Dick modifie insidieusement la réalité sans nous en avertir : le cauchemar s’agit aux extrémités de notre champ visuel dans un monde par ailleurs normal.” (Archéologies du futur – Le désir nommé utopie, Fredric Jameson, traduction Nicolas Vieillescazes et Fabien Ollier, Max Milo / L’inconnu)

 

• “(…) Fredericks avait cru comprendre qu’une histoire courait parmi les détenus : chaque soir, pendant des mois, à neuf heures précises, une lumière avait brûlé à une fenêtre de la ville, où les hommes de tout un étage supérieur de cellules pouvaient la voir et se demander, et s’imaginer, chacun, qu’elle brûlait pour lui seul. Mais ce n’était qu’une histoire, un truc que les gens se racontent, quelque chose pour passer le temps qu’il faut à la violence que contient un homme pour l’user, ou pour se consumer elle-même, selon que l’on décide qui est la bougie et qui, la flamme.” (Denis Johnson, Des Anges, traduction Jean-Pierre Carasso, Christian Bourgois Éditeur)

 

• “(…) Après avoir assassiné leurs parents et tous les adultes qui leur barraient la route, les enfants ont disparu de la résidence. Il semblerait qu’ils soient partis dix minutes environ après le dernier meurtre ; on ignore toujours comment ils s’y sont pris pour quitter les lieux. La plupart d’entre eux portaient des combinaisons de sport et, comme les amateurs de jogging sont nombreux dans la région de Pangbourne, personne n’a du remarquer cette bande d’adolescents ; en séchant, le sang pouvait facilement passer pour des taches de boue qui auraient giclé sur leurs vêtements pendant une longue course d’obstacles.” (J.G. Ballard, Le Massacre de Pangbourne, traduction Dominique Sila-Khan, Éditions Mille et une nuits)

 

• Attrapée au vol sur une station de radio, cette citation attribuée à Talleyrand : “Quand je me contemple, je me désole ; quand je me compare, je me console.”

 

• “Lao-Tzeu l’a dit : “Il faut trouver la voie !” Moi, je l’ai trouvée ! Et il faut que vous la trouviez aussi !… Je vais d’abord vous couper la tête et vous connaîtrez alors la vérité !…” (Hergé, Le Lotus bleu, éditions Casterman)

 

• “Ceci étant un article consacré à Richard Hell, il parait manifestement approprié que je commence par parler de moi.” (Lester Bangs, Psychotic Reactions & autres carburateurs flingués, traduction Jean-Paul Mourlon, éditions Tristram)

 

• “(…) On disait que les tatouages de Te Rop’raha étaient restés incomplets. J’aimais cette idée, car j’imaginais qu’il portait l’histoire de ces îles inscrite sur son visage et j’aimais penser qu’il l’avait laissée délibérément inachevée, comme dans l’attente d’un futur à écrire encore. Cowell sourit et dit que le visage du grand Loup ne serait, en fait, jamais complété. Il admit qu’il était inusuel pour un chef de son rang d’aller ainsi à demi-paré, comme s’il n’avait pas encore gagné le droit de porter une décoration complète, comme s’il n’était qu’un chef mineur, dans l’attente de trouver quel coin du monde était sa place. Mais le cœur de Te Rop’raha était peut-être sensible à cette ironie poétique ; en ce que laisser son visage non achevé lui avait donné la plus distinctive des faces. Le signe qu’il était défiait la plénitude des signes, et sa signature, une signature imparfaite, était pour finir tout à fait singulière. Partout à travers ces îles, les hommes craignaient Te Rop’raha, le chef à demi-sculpté.” (Hamish Clayton, Wulf, traduction Marc Sigala, Éditions de la Différence)

 

• “(…) Est-ce que le travail salarié crée de la propriété pour le prolétaire ? Nullement. Il crée le capital, c’est-à-dire la propriété qui exploite le travail salarié, et qui ne peut s’accroître qu’à la condition de produire du nouveau travail salarié, afin de l’exploiter de nouveau. Dans sa forme présente, la propriété se meut entre les deux termes antinomiques : capital et travail.” (Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du Parti Communiste, traduction Laura Lafargue, Éditions des Mille et une nuits)

 

• “Comment s’appelle cette croute délicieuse autour des frijoles ?” “Ça s’appelle un bol en terre cuite, amigo…” (Morris et Goscinny, Tortillas pour les Dalton, éditions Dupuis)

 

 

Nicolas Finet

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