Guillermo Mordillo, 1932 – 2019

À elle seule, sa signature était un produit d’appel : Mordillo, une consonance exotique et tout en rondeur – et une graphie en rapport, en courbes souples et douces, presque moelleuses. Difficile de cerner, rétrospectivement, les raisons pour lesquelles toute une génération s’est immédiatement appropriée les images de Guillermo Mordillo. Est-ce parce que les supports de publication étaient moins nombreux, donc plus recherchés ? Parce que l’onctuosité de son traité graphique savait comme personne susciter la sympathie et l’adhésion ? Ou parce qu’il possédait le talent rare de savoir partager, avec chacun(e) de ses lecteurs et lectrices, l’humour et l’ironie de son regard sur le monde ?

Le fait est, en tout cas, que dès ses premiers pas dans la presse francophone (il était né loin de Paris, en Argentine), puis bien au-delà, partout où son travail était publié, Guillermo Mordillo et ses dessins ont acquis le statut de repères familiers. Comme des amis qu’on prend toujours plaisir à retrouver, même si c’est de loin en loin. Nombreux sont les magazines à l’avoir très régulièrement inscrit à leur sommaire, dans des registres si divers (du Pèlerin à Lui, de Paris-Match à Pif-Gadget, de Marie-Claire à Stern) qu’ils sont en eux-mêmes un indicateur infaillible de l’œcuménisme et de l’universalité de son humour.

La production de Mordillo ne relevait qu’occasionnellement et très à la marge du neuvième art. Et pourtant, comme pour Jean-Jacques Sempé avec lequel son travail entretenait un cousinage certain, il me semble que le monde de la bande dessinée lui avait presque tout de suite réservé une place à sa table, sans réfléchir, comme une évidence, parce qu’il y avait là, en partage, un état d’esprit, une connivence de cœur. La poésie et son cousin germain, le nonsense, n’étaient jamais très loin lorsqu’on fréquentait les images de Guillermo Mordillo, même si l’on pouvait discerner aussi, inscrite dans la trame de son monde, une forme de spleen pudique et attentionné.

Parmi toutes ses illustrations ressurgies sur le Net lors de sa disparition, l’une de celles que je préfère représente une vache de dos accoudée debout à sa clôture, l’une de ses pattes arrière posée sur une pierre ronde, en train de se régaler du spectacle du soleil couchant. C’est admirable, infiniment drôle et discrètement triste aussi. La touche Mordillo, c’était ça, exactement. Merci beaucoup, monsieur : comme nombre de vos semblables (mais vous n’êtes pas si nombreux), vos images ont enchanté nos vies.

Nicolas Finet

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