Parlez-vous le P.T.S.D. ?

Il y a longtemps que j’ai cet auteur-là dans mon horizon. Dès ses premiers pas naguère dans King David chez KSTR (j’ignore s’il assume ou pas cet album maintenant un peu ancien réalisé en collaboration, et qui n’en reste pas moins d’excellente facture), à l’époque où la production de cette maison me passait toute entière entre les mains en amont de la parution des albums, je m’étais aussitôt dit qu’il y avait là une touche – au sens où l’on peut parler de la touche d’un peintre, ou d’un musicien – qui méritait vraiment qu’on suive son travail. Ses livraisons ultérieures dans le périodique (excellent) DoggyBags et bien sûr le très remarqué The Grocery (quatre volumes chez le même éditeur, scénario Aurélien Ducoudray) m’ont largement conforté dans l’idée que je n’avais pas fait fausse route.

Bien assuré dans ses (nombreux) talents, Guillaume Singelin s’est donc lancé plus récemment dans l’ambitieux travail en solo qu’est P.T.S.D., avec en ligne de mire une affection dont on entend parler depuis des années, sans trop savoir au juste de quoi il retourne, pour peu qu’on s’intéresse un peu à l’actualité et à son triste cortège de conflits armés en tout genre : l’état de stress post-traumatique, ici affiché dans son acronyme anglais, P.T.S.D, pour « post-traumatic stress disorder ».

Soit donc un vétéran au féminin (comment dit-on ça, d’ailleurs : une vétérane ? une vétéresse ? laissons trancher l’Académie de l’écriture inclusive) nommée Jun, à la dérive dans une immense ville jamais clairement identifiée, mais qu’on sait immédiatement être asiatique, peut-être Tôkyô, peut-être quelque part plus au sud… Personnellement, et parce que j’y ai séjourné assez récemment, j’ai trouvé au fil de ma lecture de P.T.S.D. beaucoup de correspondances avec la grande ville méridionale de Busan en Corée, pour la dimension portuaire et presque tropicale d’un grand nombre de décors et l’esprit multiculturel délibérément cultivé par l’auteur, dont il s’explique dans sa postface. Mais là n’est pas l’essentiel.

L’essentiel, c’est une question assez simple, mais centrale, autour de laquelle gravite la presque totalité de l’intrigue de P.T.S.D. : comment survivre au long cours, dans un contexte de paix retrouvée et d’apparente normalité, avec les traumatismes profonds ramenés d’une guerre ? Comment ajuster, au sens presque optique du terme, les attributs de cette normalité avec les lambeaux de cauchemar ramenés du théâtre des opérations ? Comment supporter les réminiscences de l’horreur, et ce faisant comment se supporter soi-même ?

Bon nombre d’histoires et de films de guerre modernes ont fait de ces questions la trame même de leurs intrigues – disons de Rambo et Apocalypse Now à Dans la vallée d’Elah –, avec à la clé une panoplie d’attitudes devenues, si l’on peut dire, des classiques de la figure de l’impossible retour : la pharmacopée comme planche de salut (très temporaire), l’enfermement volontaire à l’intérieur de soi, la reconstruction éternellement compromise et, forcément, le pétage de plomb à tous les étages.

Rien qui ne soit au générique du P.T.S.D. de Singelin, mais avec une telle liberté de ton et d’ampleur narrative (pas loin de deux cent planches) et une si remarquable fluidité de récit qu’on est immédiatement embarqué. Le choix d’un héros au féminin – à mon sens assez futé, car il nous dispense d’emblée de tout le fatras de références viriles plutôt gênantes que les histoires de cette nature se sentent parfois obligées de nous infliger – y est probablement pour beaucoup. À ces qualités, il faut bien sûr ajouter la grande sureté de la réalisation graphique, souvent impressionnante de brio et d’aisance. Avoir choisi par exemple de traiter cette histoire dans un registre très coloré est une vraie trouvaille, là où tant d’autres auteurs, compte tenu du sujet, se seraient sentis obligés d’en rajouter dans la grisaille plombante.

Bref et pour résumer, Guillaume Singelin nous plaît, ça oui – l’autre bonne nouvelle étant qu’on commence à être assez nombreux dans ce cas. Encore !

 

P.T.S.D., de Guillaume Singelin (éditions Ankama, collection Label 619, 208 pages, 19,90€)

Nicolas Finet

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