Il était de ces auteurs qui étaient là, tout simplement. Et dont le travail faisait tellement partie des évidences de la bande dessinée qu’on aurait presque fini par les oublier. Presque seulement, bien sûr. Parce qu’il suffisait de laisser le regard s’arrêter sur tel ou tel de ses livres pour se remémorer à quel point le talent était là, manifeste, flagrant, partout et tout le temps. Entré sur la scène professionnelle de la bande dessinée à la fin des années 80, Michel Plessix a soudainement disparu à la fin de l’été, emporté par une crise cardiaque. Sa place reste vide, quelque chose s’en est allé.
Je me souviens de La Déesse aux yeux de jade, l’un de ses tous premiers titres chez Milan sur un scénario de Dieter, avec déjà le sentiment qu’une voix particulière prenait son essor, prometteuse. On allait comprendre que tel était bien le cas avec sa première série conséquente Julien Boisvert chez Delcourt, toujours avec Dieter au scénario. Il y avait quelque chose d’un élan hergéen dans les aventures de ce personnage naïf et un peu lunaire, qui allait vite se résoudre, au contact de l’Afrique – puis ensuite de l’Amérique –, à écouter ce que lui dictait son instinct. Évidents, les moyens graphiques très complets de Michel Plessix allaient s’épanouir au fil des quatre titres de cette attachante série, fidélisant un public de plus en plus large.
Mais c’est en rencontrant l’œuvre du romancier britannique Kenneth Grahame Le Vent dans les saules, classique absolu de la littérature jeunesse dans le monde anglo-saxon, dont il allait proposer à partir de 1996 une adaptation en bande dessinée éblouissante, que Michel Plessix devait donner toute la mesure de sa virtuosité. Quatre volumes magiques, exceptionnels, d’un moelleux et d’une justesse incomparables. Exception faite des albums de Raymond Macherot, auxquels Le Vent dans les saules m’a souvent fait penser, je ne connais pas beaucoup de bandes dessinées animalières, pourtant innombrables ou presque dans le domaine qui nous occupe, qui aient su atteindre une telle maîtrise et une telle plénitude joyeuse, sans jamais sombrer dans ce qui menace le plus évidemment ce genre d’exercice : la mièvrerie.
Un peu plus tard à partir de 2005, avec la même élégance méticuleuse et la même passion pour ses personnages, le dessinateur proposerait avec Le Vent dans les sables une libre interprétation, en cinq volumes, des personnages et de l’univers animaliers de Grahame. Il y a eu au fil des années une poignée d’autres albums dans le parcours créateur de Michel Plessix, mais ceux-là suffisent déjà à faire œuvre. Chapeau, l’artiste.