En 2001, les éditions Ego comme X publiaient un album qui devait beaucoup faire parler de lui : L’Épinard de Yukiko, ou le récit d’une rencontre amoureuse au Japon entre un auteur français de bande dessinée installé sur place, Frédéric Boilet, et une jeune Japonaise, Yukiko, avec qui il allait vivre une parenthèse érotique brève, mais intense. Mené en immersion, au plus près de la vérité des corps, ce récit ouvertement autobiographique avait surtout impressionné par sa franchise sensuelle, puisque Boilet n’y dissimulait presque rien de l’intimité érotique partagée entre le narrateur et la jeune femme, à la fois dans les mots et dans les images, traitées avec le concours des supports vidéo et photographique. Il entrait ainsi en résonance avec l’essor multiforme de l’autofiction, qui ne cessait alors de se répandre dans la pratique de la bande dessinée, comme c’était d’ailleurs le cas en littérature à la même époque.
Seize ans après sa sortie initiale, c’est cet album qui vient de reparaître aux Impressions Nouvelles, dans une version revue par l’auteur et en partie remaniée, présentée comme la version originale et sous-titrée en japonais. Elle intègre en outre huit planches supplémentaires (la séquence sexuelle la plus explicite, que l’éditeur japonais d’origine n’avait pas jugé possible de publier en l’état, bienséance oblige, et qui n’avait été publiée en France que dans un périodique, un numéro thématique dédié au sexe du défunt magazine Bang !, au premier trimestre 2005) et une conclusion en forme d’esquisses.
On ne cherchera pas ici à comparer en quoi cette nouvelle édition diffère ou pas de celle qui avait prévalu à l’époque de la sortie originelle. Mais on renouera plutôt, en redécouvrant ces pages à la fois crues, intenses et délicates, avec la force et la beauté graphique de ce livre peu commun. Toujours inspiré dans ses compositions, Boilet a su capter et retransmettre, comme peu d’autres auteurs avant lui, l’intimité amoureuse en bande dessinée. Des instants, des cadrages, des regards, un grain de peau, des séquences. Artiste et modèle, tu parles ; on aurait pourtant pu estimer avoir épuisé les ressources et les surprises de pareille entreprise. Mener une narration accrocheuse et intelligente avec un sujet aussi rebattu, aussi peu innovant que celui-ci, voilà la performance et le talent de ce livre-là.
L’Épinard de Yukiko, de Frédéric Boilet (Les Impressions Nouvelles, 160 pages, 19€)