Et aussi dans l’actualité : Cuzor & Sente, Taiyo Matsumoto, Taro Samoyed

• Cinq branches de coton noir, de Steve Cuzor et Yves Sentes (Dupuis, collection Aire Libre, 176 pages, 24€)

Et si un symbole de l’oppression des Noirs, en signe de révolte, avait été secrètement dissimulé dans le tout premier spécimen du drapeau américain, juste avant la Déclaration d’indépendance de 1776 ? Parfaitement fictionnelle, cette hypothèse sert de fil narratif à l’histoire déployée sur quelque 170 planches – format exceptionnellement long pour un album de cette nature – dans Cinq branches de coton noir de Steve Cuzor et Yves Sente, l’une des toutes dernières productions de la collection Aire Libre aux éditions Dupuis.

Ce drapeau original s’étant miraculeusement transmis de main en main au fil des décennies et des siècles, pour finalement se retrouver en France puis en Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale, il devient un objet capital pour les forces américaines en train de libérer l’Europe de retrouver cette relique. Et plus encore pour les militants anti-ségrégation, également informés de l’existence du drapeau, qui envoient un petit commando de soldats noirs tenter d’arracher aux Nazis, avant tout le monde, ce symbole caché mais ô combien puissant de la lutte antiraciste.

À la manière des classiques d’Hollywood, un parfum de grande saga court tout au long de cet album imposant, magnifié par le travail graphique lui aussi classique, mais au meilleur sens du terme, de Steve Cuzor. De l’Indépendance américaine aux ultimes champs d’affrontement de l’Europe en guerre, le dessinateur multiple les morceaux de bravoure, dont une bataille des Ardennes d’anthologie qui aurait pu à elle seule constituer la matière de tout un album. Mission accomplie.

• Les Chats du Louvre, second tome, de Taiyô Matsumoto (Futuropolis, 208 pages, 26€)

J’ai déjà écrit ici à quel point Les Chats du Louvre, plus récente incursion du talentueux Taiyô Matsumoto dans l’édition française, méritait largement, et même plus, qu’on s’y arrête dans les détails. Avec le musée du Louvre pour toile de fond (mais ça n’est qu’un prétexte bien sûr, une manière de légitimer une création qui, quoi qu’on en dise, est tout sauf un travail de commande), cette histoire d’au-delà des apparences magnifie à merveille l’imaginaire singulier du dessinateur japonais, porté par cette touche unique qui sait comme personne gauchir les perspectives et donner à entrevoir, juste à la lisière de nos perceptions, ce qui gît juste exactement là, dans les marges. Dans le prolongement du premier tome, on suivra donc à la trace ces félins qui hantent les salles et greniers du grand musée, cornaqués par une petite bande d’humains capables de les percevoir pour de vrai. C’est un chemin étrange et beau, qui mènera ses lecteurs, dans les traces du chat Flocon, juste que dans l’intimité la plus profonde des Funérailles de l’amour (attribué à Henri Lerambert, vers 1580), le grand tableau du Louvre qui, on le découvre dans le dernier quart du récit, sert de guide et d’inspirateur à cette aventure à nulle autre pareille. Bref, vous en reprenez pour deux cent et quelque page, bon poids, et vous allez adorer ça.

• Artiste – Un chef d’exception, de Taro Samoyed (Glénat, collection Seinen Manga, 208 pages, 7,60€)

Voici, toutes proportions gardées et dans le registre seinen, la petite sensation manga du moment. Dont l’esprit, le positionnement et les choix de traitement valent qu’on s’y arrête un poil plus que d’ordinaire. Soit un milieu : le monde de la cuisine et de la restauration, vu de l’intérieur. Un environnement : Paris, la France. Quelques personnages dont on va suivre les pérégrinations presque ordinaires sur fond de gastronomie tous azimuts : un cuisinier timoré, un plongeur décidé, plusieurs chefs hauts en couleurs – notamment. Et des enjeux narratifs parfaitement raccords : faire à manger ! Comme souvent dans la bande dessinée japonaise, le plus intéressant de l’affaire n’est pas le traitement graphique que donne l’auteure (Taro Samoyed, jusqu’alors inconnue au bataillon de ce côté-ci de la planète) de son sujet, classique, efficace, sans beaucoup de surprise. Mais plutôt qu’elle se soit ainsi donné pour thème de travail une réalité pour nous aussi triviale que la restauration made in France – pourtant pas une pratique exotique au Japon non plus, converti de longue date aux Bocuse, Gagnaire, Robuchon, Savoy & Co –, et qu’elle l’ait fait de cette manière : avec un souci didactique qui, au fond l’apparente bien davantage au documentaire qu’à la fiction. Bref et autrement dit : s’il fallait encore se convaincre que le diptyque alimentation / cuisine fait bien partie des urgences thématiques du moment (on aurait dit naguère : des sujets à la mode), alors le fait qu’un média aussi dominant que le manga s’en empare de cette manière est encore plus qu’une consécration. Ça s’appelle une tendance.

Nicolas Finet

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