Dans le corps à l’agonie d’une sorte de grand cétacé volant, des chasseurs en quête de viande découvrent ce qu’ils qualifient d’« homoncule » ; en fait le « pilote » de l’animal, qui sera promptement mis à mort. Mais s’agit-il d’un animal ? Et de quelle mise à mort est-il question, au juste ?
Ainsi débute, sous une forme presque mutique, l’étrange saga de In-Humus, que je ne suis pas certain d’avoir entièrement comprise, mais d’une intensité si appuyée, dans le traitement des ambiances et des non-dits, que je me suis aussitôt laissé séduire – et je suis près à parier que je ne serai pas le seul. Cinq chapitres à l’intitulé tout aussi laconique se succèdent sur pas loin de 150 planches, pour raconter un monde intriguant où les poissons volent, mais où certaines des créatures qui possèdent des ailes, comme les humanoïdes un peu diaphanes qu’on appelle les Namhaïs, sont qualifiés de « ceux qui ressemblent à des gens. »
Cet univers très singulier déborde de vie – mais sa vitalité est parfois presque effrayante. Des insectes, des poissons, des mammifères à la silhouette curieusement gauchie, une végétation proliférante, des spores et des champignons à foison. Et puis ces chasseurs et leurs proies, dont on ne saura jamais vraiment d’où viennent les uns et les autres, et quelles sont les raisons d’être de la chasse.
On pense presque tout le temps à Moebius, inspirateur manifeste de cette plongée dans l’ailleurs, pour l’immersion SF totale, le parti-pris d’étrangeté, les compositions évocatrices d’une altérité radicale, l’omniprésence du vide et des silences, l’onirisme soigneusement entretenu – même si c’est forcément moins virtuose.
À la lecture et à la réflexion, je ne suis pas certain que l’auteure suédoise Linnea Sterte, qu’on découvre en France avec cette première traduction très prometteuse, ait réellement cherché ici à raconter une histoire, au sens classique du terme. On a plutôt l’impression d’une sorte de poème en liberté, un sentiment d’écriture automatique. Moebiusien, encore, même si ce sont les surréalistes qui ont ouvert le bal. Il y a même, vers la fin du récit, une ville aux portes imposantes, qu’on est presque certain d’avoir entraperçue au détour d’Arzach – ou bien était-ce Le Garage hermétique ? L’homoncule / pilote du début de l’histoire – en fait une créature féminine – y est exposée dans un musée, peut-être toujours vivante.
Elle se réveille, elle repart. On ne saura pratiquement rien de plus. Pas d’explications. Mais le temps d’une parenthèse en forme de rêve éveillé, on aura voyagé loin, très loin.
In-Humus, de Linnea Sterte, traduction Patrick Marcel (éditions de La Cerise, 148 pages, 20€)