Et aussi dans l’actualité : Virginie Augustin, Judith Vanistendael, Diego Agrimbau et Luca Varela

Conan le Cimmérien – Chimères de fer dans la clarté lunaire, de Virginie Augustin, d’après l’œuvre de Robert E. Howard (Glénat, 72 pages, 14,95€)

Bon, là je triche un peu. C’est vrai que l’album de Virginie Augustin n’est pas issu de l’actualité au sens strict du terme. Il a paru il y a déjà quelques semaines au début de l’été, en juin. Au regard des périodicités que permet un média chaud comme internet, c’est déjà un peu ancien. Mais a contrario c’est aussi l’un des atouts de l’outil : pouvoir revenir sur des oublis, des impasses, des remords, donner aux ouvrages la place qu’on estime leur devoir et voilà tout. Bref.

Ce qui m’intéressait en l’espèce, au delà du talent manifeste que je connais de longue date à l’autrice (sa première série Alim le tanneur, avec Wilfrid Lupano au scénario, m’avait durablement réjoui à l’époque de sa publication initiale), c’était de quelle manière une femme, qui plus est avec la finesse de touche qu’on lui connaît, allait entreprendre de se dépêtrer d’un personnage et de situations si outrageusement… masculins.

J’ai très tôt pris plaisir à la lecture des histoires de Robert Howard, découverts naguère en français grâce aux efforts soutenus d’Hélène et Pierre-Jean Oswald de feu les éditions Néo, tellement en phase avec les attentes informulées des adolescents ouverts à l’aventure (pour les adolescentes, je demande à voir). Mais il faut bien avouer que les thématiques du monde de Conan, même si elles sont fondatrices de toute une partie de la fantasy (à laquelle je préfère de toute façon la SF, bien moins contrainte et codifiée), me sont assez vite apparues assez simplettes, pour ne rien dire des qualités d’écriture de l’auteur, qui m’ont souvent laissé sur ma faim. C’est d’ailleurs une caractéristique commune à pas mal d’écrivains de la culture pulp – Américains pour l’immense majorité d’entre eux : seule l’étendue et la vitalité de leur imaginaire leur ont garanti l’accès à la postérité, car on ne peut pas dire que c’est par l’originalité ou la finesse du style qu’ils sont restés dans les esprits. Voyez Burroughs (Edgar, pas William).

Alors ? Alors, contrairement à ce que je m’étais imaginé, pas trace d’une forme de traitement spécifique qui distinguerait le travail de Virginie Augustin de celui des nombreux comparses masculins qui se sont emparés par ailleurs des autres titres de la collection. Mais en revanche un très solide travail d’interprétation, qui choisit d’aborder graphiquement le personnage de Conan, si l’on peut dire, par son angle Frazetta. Hiératique et sauvage, son barbare n’a aucun mal à convaincre, au service d’une histoire efficace (mais sans plus) qui, dans la carrière d’Howard, a inauguré (1932) la période des travaux alimentaires. Dans le genre alimentaire, on a vu plus mal fait. Et avec Virginie Augustin aux pinceaux, c’est fromage et dessert.

Les deux vies de Pénélope, de Judith Vanistendael (Le Lombard, 160 pages, 19,99€)

Normalement, je ne me sens pas très à l’aise avec les bandes dessinées qui psychologisent beaucoup. J’ai le sentiment de ne pas très bien comprendre, voire pas tout. Et puis les états d’âme, à la fin, hein… Pourtant, est-ce parce que j’avais déjà une inclination pour le travail de Judith Vanistendael (Salto chez le même éditeur, en 2016), je me suis aussitôt laissé capter par cette histoire délicatement menée d’une mère si investie dans son travail (elle pratique la chirurgie de guerre dans les camps de réfugiés syriens, avec un talent certain) qu’elle ne parvient pratiquement plus à exister autrement que par son absence pour ceux qui constituent pourtant sa famille (son homme, sa fille, sa sœur, sa mère, etc.) et qu’elle retrouve de loin en loin, au hasard de ses retours aléatoires dans son foyer. Comment leur expliquer ? Comment leur faire comprendre, même lorsqu’ils ne demandent rien, alors qu’elle vient de ramener avec elle en Belgique, de sa dernière mission sur le théâtre du conflit, le fantôme d’une enfant de là-bas, morte sous ses yeux de ses blessures et qu’elle n’est pas parvenue à sauver. Comment aussi affronter ce mur de la normalité européenne si insupportable – la narratrice contient difficilement son irritation face aux préoccupations de sa fille adolescente, qui ne se soucie que de ses fringues et de sa coiffure – lorsqu’on revient de l’indicible ?

L’explication de l’attrait de ce livre, bien sûr, c’est que Judith Vanistendael raconte très bien. Sa narration au cordeau, sans en avoir l’air, est d’une rigueur et d’une efficacité implacables. Mais pas seulement. Au-delà de l’habileté narrative et du travail graphique tout aussi bien mené, tout en fausse simplicité, il me semble que la portée de ces Deux vies de Pénélope (une allusion évidente à L’Odyssée, à laquelle l’autrice indique explicitement s’être beaucoup référée – mais je dois dire que c’est la dimension de l’album qui m’a le moins convaincu) tient aussi à la nature de son sujet, et à la subtilité de son traitement. Répondre à l’injonction sociale de vivre et de s’accomplir intensément, aussi bien dans son parcours professionnel que dans son parcours intime et familial, alors que les deux injonctions, on le sait tous et on le sait bien, sont parfaitement contradictoires et totalement inconciliables. Pénélope, héroïne paradoxale de ce récit qui ne l’est pas moins, fera au bout du compte un choix qui ne regarde qu’elle – et qui n’est pas celui d’Ulysse. CQFD.

L’Humain, de Diego Agrimbau et Lucas Varela (Dargaud, 144 pages, 21€)

« L’humanité avait disparu de la surface de la Terre à cause de son égoïsme, son ambition et sa bêtise. Il faut reprendre l’histoire à zéro. Cette fois, on fera ça bien. » Le « cette fois » qu’évoque le narrateur de cette histoire – il s’appelle Robert –, c’est le moment où il reprend pied à la surface de la planète après avoir passé les 549.000 années précédentes en orbite autour de la Terre, le temps nécessaire à ses écosystèmes pour se rétablir. Hormis la petite bande de robots qui l’accompagne, Robert est seul, mais confiant. Il compte retrouver rapidement sa compagne June, sortie d’hibernation une centaine d’années avant lui afin de préparer leur grand projet commun : repeupler la planète et y poser les bases d’une nouvelle civilisation. Mais évidemment, le plan initial foire assez vite, les retrouvailles avec June ne tournent pas du tout comme Robert l’avait espéré. Et l’humaine nature étant ce qu’elle est… J’ai espéré de ce pitch prometteur un peu plus que ce qu’il ne donne à l’arrivée. Ce n’est pas maladroitement fait, mais ça ne décolle jamais vraiment. Pas sûr qu’il ait été judicieux d’introduire une touche d’humour, qui crée une distance peut-être involontaire, dans cette histoire finalement assez sombre. Reste un traitement graphique convaincant et un travail de bonne facture, par deux auteurs argentins familiers du monde français de l’édition.

Nicolas Finet

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