Un exercice de style

Ma génération fait historiquement partie des premières à avoir célébré avec ferveur et constance les littératures de genre – et conséquemment, à avoir ainsi préparé l’émergence de ce qui est devenu le mainstream d’aujourd’hui. Paradoxalement pourtant, je n’ai jamais, dans cet élan, privilégié le polar. Contrairement à la science-fiction, qui d’emblée m’avait semblé porteuse de promesses, de concepts et d’idées vraiment neuves, le polar (comme d’ailleurs le fantastique, qui entretient avec lui bien des cousinages formels), ne m’est jamais apparu intéressant que sous un seul angle : celui de l’exercice de style. Ce qui comptait au fond dans le polar, ce n’était pas tant ce qu’on racontait, énième variation sur une trame noire ou hard boiled plus ou moins convenue établie naguère entre les deux guerres, que comment on le racontait.

Et c’est exactement pour toutes ces (mauvaises ?) raisons que j’ai beaucoup aimé Miami, le tome 3 de Tyler Cross. Parce que le trait de Brüno, hiératique, parfois à la limite de l’image d’Épinal (et, dans un tel contexte, on aura compris que ce n’est évidemment pas une critique), porte à la perfection l’élan de stylisation qui est, me semble-t-il, l’essence même de l’esprit du polar. Et parce que les personnages que campe Fabien Nury ne prétendent pas être autre chose que de subtiles et parfois savantes variations sur des archétypes humains plus que largement confortés par l’usage.

Bref et pour le dire autrement : on ne trouvera dans Miami ni étourdissantes trouvailles narratives ni personnages renversants de nouveauté, tant il est vrai que le genre qui nous occupe ici (exception faite peut-être d’Ellroy, David Peace ou James Lee Burke, et encore…) ne s’est jamais beaucoup soucié de produire des situations ou des idées neuves. Mais en revanche Miami regorge, oui, de ce à quoi le polar excelle depuis des lustres, et ce pourquoi tant d’auteurs de littérature (Pelot ou Djian chez nous, Charyn chez les Anglo-Saxons) se sont pris de passion pour cette forme : le style.

Style des ambiances, style des situations, style des compositions de planches et des cadrages, style des dialogues, style des contrastes et des aplats, style des variations chromatiques, je pourrais continuer comme ça un moment. Et au fond qu’importe bien sûr, à la lecture de Miami, le détail des rebondissements et de l’intrigue, puisque tout ce qu’on en attend finalement, c’est d’être une mécanique bien huilée, fonctionnelle, propre à valoriser ce si précieux style. Nury et Brüno ont trouvé le leur, puissant, singulier et, au fil des aventures de leur tueur laconique, peaufinent leur formule avec un métier impressionnant. Leur petite musique (pourquoi petite, d’ailleurs, tant il est vrai que c’est dans les lignes de fracture ouvertes par les cultures de genre qu’ont prospéré les véritables et profondes innovations culturelles du temps ?) est désormais bien reconnaissable. Et tout ce que nous pouvons nous souhaiter, c’est qu’ils gardent l’envie de l’interpréter encore longtemps.

Tyler Cross T.3 – Miami, de Nury et Brüno (Dargaud, 96 pages, 16,95€)

Nicolas Finet

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