Fire Punch, acte 1

Voici certainement l’une des grosses sorties manga de l’année sur les marchés francophones – deuxième aire de jeux et d’influence, en dehors de l’archipel nippon lui-même, pour la bande dessinée japonaise dans le monde. Et qui sera probablement observée de près compte tenu de l’identité de son éditeur, Kazé – autrement dit l’émanation directe en Europe de la maison Shueisha, qu’on ne présente plus. Exit les éditeurs français détenteurs de telle ou telle licence d’exploitation, cette fois c’est l’acteur éditorial japonais initial qui est directement aux commandes de la VF.

Pour ce qui est de l’argument environnemental et des ambiances, on est dans un registre thématique désormais bien balisé, quelque part à mi-chemin du Transperceneige / Snowpiercer, pour les glaces omniprésentes sur une Terre dévastée, et du Cormack McCarthy de La Route, pour l’état de décomposition généralisée de la société humaine – ou plutôt de ce qu’il en reste. Dans ce monde désolé qui a vu revenir des pratiques en principe révolues comme l’esclavage ou l’anthropophagie, et où la pénurie alimentaire est généralisée, c’est la fête lorsqu’il y a une patate au repas et quasiment l’émeute lorsque quelqu’un trouve du lait, qu’on appelle l’eau blanche.

Bref, on entre dès les premières pages dans le monde d’après un cataclysme, cataclysme dont on ne saura qu’assez peu de choses au terme de ce premier tome, si ce n’est qu’un mystérieux personnage aux pouvoirs surnaturels démesurés, un « élu » dénommé la « sorcière de glace », a semé le chaos sur Terre. Mais il n’est pas le seul « élu » à ainsi disposer de tels pouvoirs plus qu’humains. C’est le cas notamment du héros de l’histoire, Agni, à qui ses pouvoirs de régénération exceptionnels permettent de débiter littéralement son corps en morceaux pour nourrir le village qui lui a sauvé la vie enfant, ou encore du méchant de l’histoire, Doma, maître du feu destructeur, qui scelle d’emblée une opposition fondamentale avec Agni en réduisant en cendres le village en question, y compris la propre sœur du héros, Luna.

S’ensuivra dès lors une assez classique quête de vengeance mettant aux prises Agni, miraculeusement indemne mais en proie pour toujours à un incendie dévorant (le prologue de la série est justement intitulé « L’Homme au manteau de feu »), et le responsable de ce funeste destin, devenu l’un des maitres d’une ville dévoyée, Behemdorg, où ce qui subsiste de l’humanité s’efforce de survivre.

Ce qui est intéressant, avec ce premier tome composé en huit épisodes, n’est pas tant l’histoire en tant que telle, au fond assez conventionnelle ; mais plutôt de tenter d’anticiper de quelle manière l’auteur, Tatsuki Fujimoto (jeune mangaka dont l’année de naissance ne nous est pas dévoilée, mais dont son éditeur nous assure qu’il a fait ses débuts professionnels en 2014), va arbitrer à l’avenir les différentes pistes thématiques et narratives esquissées dans ce premier volume.

La dimension christique de son récit, soulignée par la place qu’y occupe l’anthropophagie ? Le thème du corps fragmenté, dont on sait depuis l’Antiquité grecque et égyptienne (le démembrement de Penthée ou d’Osiris) à quel point il est à la fois classique et fécond (et pour la bande dessinée, se reporter par exemple à l’usage intensif qu’en a fait chez nous Alexandro Jodorowski, d’Alef-Thau à Bouncer) ? Le traitement du sexe, sur un mode un peu borderline puisque d’emblée les pratiques de l’inceste, puis de la zoophilie, sont successivement évoquées ? Ou bien encore l’idée très riche du corps en flammes, que l’on sait porteuse d’une ribambelle d’expressions artistiques inspirées, de Ghost Rider au fire walks with me de David Lynch ?

Sexualité alternative, décapitation, cannibalisme, on sent bien en tout cas qu’aucune outrance ni aucun interdit ne semblent rebuter l’auteur – quoique son caractère « déjanté », dixit le dossier de presse, me semble un peu surjoué. Les volumes suivants sont annoncés au rythme classique d’un tous les deux mois, soit fin août puis fin octobre pour les tomes 2 et 3.

Fire Punch tome 1, de Tatsuki Fujimoto, traduit du japonais par Sylvain Chollet (Kazé Seinen, 7,99€)

Nicolas Finet

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